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avec rage et fis disparaître jusqu’au dernier pli de mes effets. Il me sembla que je m’arrachais le cœur, mais j’aimais mieux en finir d’un coup. Puis je pleurai l’espèce de sacrilège que je venais de commettre.

Ah ! si j’eusse su nager ! combien il est probable que je me fusse risqué à franchir les quelques kilomètres qui nous séparaient de la terre ! Évidemment j’étais porté sur les rôles du navire et, bientôt repris sans doute, j’aurais été réembarqué sur quelque autre bateau en partance pour Saint-Pierre ; mais dans mon désespoir, n’étais-je pas fondé à croire que tout terrien se dévouerait pour me tirer de cet enfer ?

Je vous ai souvent revues, côtes de Cancale, de Pontorson et de l’Avranchin, silhouettes du Tombelaine et du mont Saint-Michel ; vous méritez toute l’admiration de vos visiteurs ; mais l’amour impliqué dans toutes leurs extases n’approchera jamais de l’âpre désir avec lequel j’aspirais vers vous.


Pourtant je n’avais encore rien vu. Toutes ces souffrances dans lesquelles l’imagination tenait la plus grande place allaient bientôt être remplacées par d’autres plus tangibles.


Le soir où l’ancre fut levée, je me sentis cependant revivre. Le mouvement de l’appareillage, l’exécution de manœuvres dont je commençais à entrevoir le sens et surtout le travail, me firent retrouver pour quelques heures mon enthousiasme pour la vie de marin. Il