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reconnaître, ni à croire que bientôt régnera l’ordre qu’on est habitué à se représenter dans tout ce qui touche à la marine. J’ai tiré sur les amarres, avec les hommes de la corvée, — hommes du port spécialement payés pour sortir les navires, — et c’est tout ce que je puis vous dire ; comment le nôtre s’est trouvé « déhalé » du milieu des autres, je n’en sais rien. Mais cet ahurissement est commun à tous ceux qui embarquent pour la première fois.


J’ai surtout à vous parler de la pêche sur le Grand-Banc ; je ne saurais cependant passer sous silence les incidents de traversée qui peuvent faire comprendre l’état d’esprit dans lequel j’ai fait ma première campagne.

D’abord nous fîmes une relâche de près de vingt jours sur la rade de Cancale dans l’attente de vents favorables. Il est imprudent d’entreprendre de sortir de la Manche en louvoyant quand on n’a pas un excellent navire sous les pieds et qu’on n’est pas un capitaine très expérimenté, toutes conditions qui ne se réalisent pas toujours dans les navires pêcheurs de Terre-Neuve. Ce temps de relâche, on en profita pour gréer les engins de pêche, travail qui se fait d’ordinaire pendant la traversée de France à Saint-Pierre, travail dans lequel mon ignorance m’empêcha de trouver la moindre distraction. De cette rade de Cancale, le souvenir le plus précis qui me soit resté, c’est d’y avoir pleuré toutes les larmes de mon corps. Pleurs