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funeste entrevue, inventant chaque jour des prétextes nouveaux ; si bien que la marâtre vit clairement le refus qui se cachait sous ces ajournements multipliés, et soudain, par un de ces retours communs aux passions désordonnées, une affreuse haine prit la place de son amour.

Parmi les esclaves qu’elle avait eus en dot, il y en avait un qui était la méchanceté même, et n’avait pas son maître en fait de scélératesse. Elle lui fait part de ses criminelles intentions ; et tous deux ne trouvent rien de mieux à faire que de donner la mort au pauvre jeune homme. Sur l’ordre de sa maîtresse, l’esclave se procure un poison des plus actifs, et le délaye dans du vin qui doit être offert à l’innocente victime. Mais tandis que ces deux monstres délibèrent sur le moment propice, le hasard amène le plus jeune frère, le propre fils de la dame, qui rentrait au logis après ses exercices du matin. L’enfant venait de déjeuner, il avait soif : il trouve sous la main la coupe empoisonnée, et l’avale d’un trait. Il n’a pas plutôt pris le breuvage de mort, apprêté pour un autre, qu’il tombe sans vie.

À cette subite catastrophe, le précepteur de l’enfant jette des cris lamentables qui attirent la mère et toute la maison. Les effets du poison sont visibles ; et chacun désigne celui qu’il croit l’auteur d’un tel forfait. Mais ni le cruel trépas d’un fils, ni le remords d’en être la cause, ni le désastre de sa maison, ni le cœur brisé d’un époux, ni l’aspect de telles funérailles, n’ont le pouvoir de faire impression sur cette furie. Vrai type de marâtre, elle ne songe qu’à assouvir sa vengeance, en mettant le comble au deuil de la famille. Un courrier est dépêché à son mari, qui, à cette funeste nouvelle, revient précipitamment sur ses pas. Aussitôt, avec une effroyable assurance, elle lui dénonce son beau-fils comme l’empoisonneur de son frère. Elle disait vrai en un sens : l’enfant lui avait presque ôté la coupe des mains pour la boire : mais elle prête au frère aîné l’atroce idée de se venger sur le fils du refus opposé par la mère à ses infâmes désirs ; et, non contente de cet affreux mensonge, elle ajoute qu’une telle révélation la met elle-même en butte au poignard. Le père infortuné, près de se voir privé de deux fils, se débat au milieu des plus terribles angoisses. Le plus jeune est devant lui, couché dans son cercueil ; l’autre, incestueux, parricide, va se trouver frappé d’une condamnation capitale. Une femme trop aimée est là qui l’excite, par des pleurs mensongers, à prendre en horreur son propre sang.

À peine les derniers rites des funérailles sont-ils accomplis, que, s’arrachant du bûcher les joues encore sillonnées de larmes, et dépouillant son front de ses cheveux blancs souillés de cendre, le malheureux vieillard se précipite vers la place où se rend la justice. Et là pleurant, suppliant, embrassant même, tant il est abusé, les genoux des décurions, ce père appelle, avec l’insistance la plus passionnée, la mort sur la tête du seul fils qui lui reste, sur ce fils violateur incestueux du lit paternel, dont le poignard me-