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sable voulut s’assurer le plus possible de la chasteté de sa femme, en son absence. Il avait un petit esclave nommé Myrmex, d’une fidélité reconnue. Il lui donna en secret ses instructions, avec plein pouvoir pour la garde de sa maîtresse. De plus, il le menaça des fers et du cachot, jurant par toutes les divinités de l’y faire mourir de faim, au cas où il laisserait qui que ce fût toucher la belle, même en passant, ne fût-ce que du bout du doigt. Cela fait, le mari part, certain d’avoir près de sa femme un gardien que la terreur attacherait à tous ses pas. Myrmex, en effet, n’a plus de repas, ne peut plus laisser sortir sa maîtresse ; il s’assied près d’elle quand elle file ; le soir, quand il faut aller au bain, il suit ses pas, se colle à ses côtés, tient un pan de sa robe ; en un mot, il s’acquitte de sa mission avec la vigilance la plus inquiète.

Mais une aussi éclatante beauté ne put échapper longtemps à l’œil d’Argus d’un amateur comme Philésitère. Le grand bruit qu’on faisait de la chasteté de la dame, de la surveillance extraordinaire dont elle était l’objet, ne servit qu’à le piquer et à irriter ses désirs. Il se fit un point d’honneur d’emporter coûte que coûte une place aussi bien gardée. Il sait quelle est l’humaine fragilité, que l’argent aplanit bien des obstacles, et que les portes de diamant même ne résistent pas à l’or. Il profite d’un moment où il rencontre Myrmex seul ; il lui déclare son amour, le suppliant de prendre en pitié ses tourments. C’est un point résolu, il se donnera la mort, si bientôt il ne possède l’objet de tous ses vœux. Rien de plus facile d’ailleurs : il se glissera seul, sur le soir, ne restera qu’un moment, et les ténèbres couvriront sa venue et sa retraite.

Pour aider la persuasion, le séducteur fit jouer une machine contre laquelle le cœur de l’esclave se fût en vain cuirassé. Ouvrant la main toute grande, il la montre pleine de pièces d’or frappées à neuf, et de l’éclat le plus tentant. En voilà vingt pour ta jeune maîtresse, dit-il, et dix que je te donne pour toi de grand cœur. Myrmex, à cette proposition inouïe, frissonne des pieds à la tête, et s’enfuit en se bouchant les oreilles. Vains efforts ! le brillant du métal lui avait donné dans l’œil. Il a beau se sauver, gagner la maison à toutes jambes, il a toujours devant lui ces espèces resplendissantes, il en rêve la possession ; et voilà sa pauvre tête livrée à un flux et reflux d’images et de sentiments les plus opposés, les plus contradictoires. Il hésite entre le devoir, l’intérêt, l’effroi des tortures, l’appât des jouissances. Enfin l’amour de l’or l’emporte sur la peur de mourir. Pour s’exercer de loin, la séduction ne perdait rien de sa force. Même pendant la nuit, l’aiguillon de la cupidité allait son train. En dépit des menaces qui devaient le clouer au logis, l’irrésistible attrait de l’or l’entraînait à franchir la porte.

Enfin, toute honte bue, il prend son parti de risquer l’ouverture près de sa maîtresse. Celle-ci, en vraie femme, n’eut garde de se montrer plus inaccessible au vil métal, et le marché de sa pudeur fut bientôt conclu. Myrmex, au comble de la joie, précipite sa trahison. Il veut tenir, palper cet or qu’une fois il a vu pour son malheur. Il court chez Philésitère, et lui annonce avec