pratiques extérieures, elle imposait au public et à son mari, tandis que du matin au soir l’hypocrite s’en donnait à boire ou à faire pis.
Cette digne personne m’avait pris tout particulièrement en aversion. Dès avant le jour, je l’entendais crier de son lit : À la meule l’âne nouveau venu ! Elle était à peine sortie de sa chambre, qu’elle me faisait appliquer en sa présence une volée de coups de bâton. Quand l’heure du repas était arrivée, tandis qu’on dételait les autres bêtes, elle prescrivait de ne me laisser approcher du râtelier qu’après tous les autres. Ces persécutions excitèrent d’autant plus en moi l’instinct de la curiosité. J’étais certain que journellement un jeune homme s’introduisait dans sa chambre, et je mourais d’envie de voir sa figure ; mais mes regards ne pouvaient percer au travers de mon capuchon. Autrement, de façon ou d’autre, je serais parvenu à n’ignorer aucun des déportements de l’odieuse créature.
Certaine vieille ne la quittait pas de tout le jour. C’était sa courtière de vice, l’entremetteuse de ses relations de galanterie. On débutait par bien déjeuner ensemble, et puis, tout en sablant le vin sans eau à qui mieux mieux, on ourdissait quelque trame bien noire au préjudice de l’infortuné mari. Quant à moi, malgré ma trop juste rancune contre cette maladroite Fotis qui m’avait fait âne en voulant me faire oiseau, je me trouvais en un point dédommagé de l’extrême mortification de paraître sous cette grotesque figure ; car avec cette grandissime paire d’oreilles dont elle m’avait doté, je pouvais entendre le mieux du monde ce qu’on disait même assez loin de moi. Voici ce que je pus recueillir un jour du caquet de la vieille drôlesse. Triste galant que le vôtre ! À vous, ma chère maîtresse, et à vous seule de voir quel parti en tirer. Je ne me suis pas mêlée d’un pareil choix. Une poule mouillée ! un poltron ! que votre butor de mari fait trembler comme la feuille rien qu’en fronçant le sourcil, et dont les languissantes ardeurs vous mettent chaque jour au supplice. Parlez-moi de Philésitère ; c’est là un joli cavalier, et qui est généreux, et qui est brave, et qui n’est jamais en défaut contre les vaines précautions des maris. Voilà l’homme à qui les faveurs de toutes nos belles devraient être dévolues par privilège ; l’homme dont il faudrait orner le front d’une couronne d’or, ne fût-ce que pour le tour sans pareil qu’il vient de jouer à un jaloux. Écoutez, et voyez combien il est vrai de dire qu’il y a galant et galant.
Vous connaissez Barbarus, le décurion de la ville, que son humeur acrimonieuse a fait surnommer le Scorpion. Il a pris une femme de bonne famille et d’une beauté rare, qu’il surveille avec un soin extrême, sans lui laisser mettre le pied dehors. Oui, certes, je le connais, reprit vivement la boulangère. C’est Arété, ma camarade d’école. En ce cas, dit la vieille, vous connaissez tout au long l’aventure de Philésitère ? Je n’en sais pas un mot, dit l’autre, et je désire vivement la connaître. Voyons, la mère, contez-moi, je vous prie, le tout de point en point. Sans se faire presser, l’éternelle jaseuse reprit ainsi :
Ce Barbarus, à la veille d’un voyage indispen-