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terne. Otez-vous de là, camarade, dit-il, et laissez-moi faire. Vous l’allez avoir tout à l’heure nettoyé comme il faut. Mon homme met habit bas, et le voilà dans le cuvier, lanterne en main, raclant de son mieux l’épaisse moisissure dont le temps l’avait comme incrusté. De son côté, le jeune drôle, qui n’est pas endormi, tandis que la dame se penche en avant, met à profit cette posture déclive, pour travailler à sa façon. L’effrontée coquine s’amusait à prolonger l’ouvrage aux dépens du pauvre homme, lui montrant du doigt une place à gratter, puis une autre, puis encore une autre. La double besogne mise à fin, et les sept deniers comptés, le chanceux forgeron eut encore le plaisir de porter le cuvier sur ses épaules jusqu’au logis de son substitut.

La très-sainte compagnie passa là quelques jours à s’engraisser de la dévotion publique, sans compter ce qu’ils empochèrent à dire à tout venant la bonne aventure. La bande, à ce propos, s’avisa d’un curieux procédé pour attraper l’argent des pratiques. Mes gens avaient combiné un sort unique s’adaptant à presque tous les cas, et qu’ils vous débitaient gravement, sur quoi que l’on vînt les consulter. L’oracle était ainsi conçu :

Qui, ses bœufs sous le joug, sillonne au loin la plaine,
Voit joyeuse moisson le payer de sa peine.

Venait-on interroger le sort à propos de mariage ? la réponse, disaient-ils, cadrait à merveille. Le joug désignait l’union projetée, et les moissons la progéniture qui devait en sortir. Le consultant voulait-il acquérir une propriété ? les bœufs, la plaine, les moissons, tout cela parlait de soi-même. Avait-on un voyage à faire, dont l’issue inquiétait ? les bœufs étaient là pour toute bête à quatre pieds. On aurait le plus doux des attelages ; et les moissons présageaient profit. S’agissait-il de combat à livrer, de voleurs à poursuivre ? la victoire, d’après l’oracle, était infaillible. Le joug menaçait les bêtes ennemies ; on allait s’enrichir d’un immense butin.

Le tour leur réussit. Ils exploitèrent assez longtemps avec profit cette captieuse prophétie. Toutefois, les questions se multipliant, on finit par se trouver à bout de commentaires. Il fallut alors quitter le pays : nous nous remîmes en route ; et quelle route ! Pire cent fois que toutes celles que nous avions parcourues. À chaque pas des rigoles, des crevasses, des fondrières. Tantôt plongeant dans un marais d’eau stagnante, tantôt glissant sur un bourbier fangeux, je commençais enfin, non sans mainte chute fatale à mes pauvres jambes, à gagner un terrain uni, quand tout à coup nous sommes assaillis en queue par un gros de cavaliers armés, qui, maîtrisant à grand-peine l’élan de leurs montures, se précipitent sur Philèbe et les siens, les saisissent à la gorge, les traitent d’infâmes et de sacrilèges, entremêlant ces épithètes par de fréquents coups de poing. On leur passe à tous les menottes, en leur adressant cette sommation : Çà, qu’on nous rende cette coupe d’or qui tenta votre cupidité profane. Oui, sous couleur d’un rite sacré, dont la célébration voulait du mystère, vous l’avez volée jusque sous les coussins de la mère des dieux ; et, comme si pareil crime pouvait rester impuni, vous vous êtes esquivés de nos murs