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à personne le droit de te donner ce nom ! mais si tu regardes nos biens comme rompus par mon funeste trépas, forme, j’y consens, une union plus heureuse ; mais, du moins, ne te livre pas aux mains sacrilèges de Thrasylle : qu’il ne soit pas dit qu’il ait pu jouir de ton entretien, partager ta table ou ta couche. Que ta main ne touche pas l’homicide main de mon meurtrier. Point d’hymen sous les auspices du parricide. Parmi ces plaies, dont tes larmes ont lavé le sang, il en est que la dent du sanglier n’a pas faites. Le fer de Thrasylle a seul porté le coup qui nous sépare. Le fantôme ne se borne point à ces mots, l’horrible drame fut déroulé tout entier.

Charité s’était couchée la face tournée contre son lit ; et, tout en dormant, elle inondait ses joues de larmes. La secousse qu’elle reçut de cette vision l’arrache à ce pénible sommeil, et ses cris, ses lamentations redoublent. Elle déchire ses vêtements, et porte sur ses beaux bras des mains impitoyables. Cependant elle tait l’apparition, garde en son sein les sanglantes révélations de la nuit : sa résolution est prise. Elle punira le meurtrier, et sortira ensuite d’une vie désormais insupportable.

Cependant, aveuglé par ses désirs, l’odieux amant revient à la charge et ne cesse de fatiguer des oreilles sourdes à jamais pour lui. Avec une tranquillité qu’elle sut jouer à merveille, Charité se borne à le gronder doucement de son importunité. Je vois encore, dit-elle, là devant mes yeux la noble figure de votre frère, de mon époux chéri. Je savoure encore le parfum d’ambroisie qu’exhalait sa personne divine. Enfin le charmant Tlépomène est encore vivant dans mon cœur. Il serait généreux à vous, il serait méritoire d’accorder à mon amère douleur un temps de deuil légitime. Laissez écouler quelques mois encore, laissez l’année s’accomplir. C’est au nom de la pudeur, c’est dans votre intérêt que je vous le demande. Craignons, par un hymen prématuré, d’exciter à votre perte les mânes indignés d’un époux.

L’impatient Thrasylle ne tient compte de ces paroles, ni de la perspective assurée de son bonheur : toujours sa langue profane assiège l’oreille de Charité de coupables insinuations. Charité feint de se rendre. Eh bien, mon cher Thrasylle, lui dit-elle, je ne vous demande qu’une grâce. Couvrons pour un temps nos privautés de mystère : que le soupçon n’en puisse même venir à aucun de mes domestiques, tant que l’année n’aura vu son cours accompli. Thrasylle se laissa prendre à cette insidieuse proposition : leurs amours seront furtifs. Il invoque la nuit, la nuit et ses épaisses ténèbres. Qu’il tienne Charité dans ses bras, le reste n’est rien pour lui. Écoutez, lui dit-elle, ayez soin de vous envelopper de manière à bien cacher vos traits, et, à la première veille, présentez-vous devant ma porte sans vous faire accompagner de personne. Sifflez une fois, et attendez. Ma nourrice que voici sera là, postée en sentinelle et guettant votre arrivée ; c’est elle qui vous ouvrira la porte : elle vous introduira sans lumière, et vous conduira jusqu’à ma chambre à coucher.

Thrasylle sourit à ce sinistre cérémonial d’hyménée. Nul soupçon n’effleure son esprit ; l’attente seule le trouble. Le jour lui semble bien long à passer la nuit bien lente à venir. Aussi la lu-