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dans sa poursuite une ardeur extrême ; mais, bien qu’il éclipsât tous ses rivaux par ses avantages, et qu’il eût cherché par de riches cadeaux à se faire bien venir des parents, on s’effraya de ses mœurs, et il essuya l’affront d’un refus : notre jeune maîtresse passa dans les bras du vertueux Tlépolème ; mais la passion de Thrasylle ne fit que s’accroître par la préférence accordée à un autre, et le dépit de se voir éconduit lui inspira la pensée d’un crime.

Son plan fut médité de longue main ; mais il lui fallait un prétexte pour reparaître dans la famille. L’occasion s’en présenta le jour où la jeune fille, grâce à l’adresse et au courage de son fiancé, se vit tirée des mains des brigands. Thrasylle vint se mêler à la foule joyeuse, s’y fit remarquer par l’empressement de ses félicitations ; il complimenta les heureux époux sur leur délivrance, et leur tira l’horoscope d’une longue lignée. Par honneur pour sa noble maison, on le mit au premier rang des personnes qui étaient reçues chez nous : le traître sut dissimuler ses affreux desseins, et jouer à merveille le personnage d’ami dévoué.

Il multiplia ses visites, prit part à leurs entretiens, à leurs plaisirs, et même à leurs repas. De jour en jour l’intimité devenait plus étroite. C’était en aveugle se précipiter dans l’abîme. Que voulez-vous ? telle est la flamme de l’amour. Au premier abord ce n’est qu’une douce chaleur dont la sensation est délicieuse ; mais à la longue le feu devient fournaise, et son ardeur dévorante consume l’homme tout entier.

Thrasylle chercha longtemps l’occasion d’un tête-à-tête ; mais une armée de surveillants excluait de plus en plus toute chance de commerce adultère. Pouvait-il lutter avec succès contre une affection récente, et qui chaque jour prenait de nouvelles forces ? D’ailleurs, eût-il trouvé Charité aussi disposée qu’elle l’était peu à frauder le devoir conjugal, l’inexpérience de la jeune femme eût suffi pour lui faire obstacle. Thrasylle voit bien qu’il se perd ; mais la fatalité le pousse, en dépit de lui-même, à se prendre à l’impossible. La difficulté dont l’amour s’effraye d’abord, si la passion va croissant, bientôt semblera peu de chose. Or, écoutez de toutes vos oreilles ; vous allez savoir à quels excès l’emporta cette délirante frénésie.

Tlépolème un jour mena Thrasylle avec lui chasser la bête fauve, c’est-à-dire le chevreuil bête fauve très innocente ; Charité ne permettait pas à son mari de courir aucun gibier à cornes ou armé de dents. Les chasseurs arrivent à un tertre boisé, où l’épaisseur du fourré formait rideau devant eux. On découple alors les chiens, tous de bonne race, pour relancer la bête dans son fort. La meute bien dressée se montre intelligente à se partager les quartiers, à fermer toute issue. Elle ne faisait entendre d’abord qu’un grognement sourd. Au signal donné, l’air retentit de ses aboiements sauvages : quel gibier va se lever ? un chevreuil ? un daim timide ? une biche, la plus douce des bêtes ? Non, mais bien un sanglier énorme, que jamais chasseur n’avait lancé, masse de chair formidable, au cuir souillé et hérissé, dont les soies se dressent sur son dos en forme d’arête. Le monstre part, écumant de rage, faisant claquer ses redoutables dents ; l’œil en feu, terrible et prompt comme la foudre.