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tion contre son sexe en général : Eh quoi ! une jeune fille, naguère inconsolable de la perte d’un chaste amour, d’un hymen légitime, montrer ce scandaleux transport au seul nom du vice et de ses immondes repaires ! Et toute l’espèce féminine en masse de passer sur la sellette, devant un juge à longues oreilles.

Le jeune homme reprit alors la parole : Allons, dit-il, offrir un sacrifice au dieu Mars ; demandons-lui la vente de la jeune fille ainsi que des recrues ; mais, à ce que je puis voir, nous n’avons pas ici une seule bête à sacrifier, ni même assez de vin pour en boire à discrétion : confiez-moi dix de nos hommes ; il ne m’en faut pas plus pour tomber sur la première bourgade que je rencontrerai, et je vous rapporte de quoi faire un repas de Saliens. Les voilà bientôt en campagne, tandis que le reste allume au logis un vaste brasier, et construit en gazon un autel au dieu de la guerre. L’expédition ne tarda pas à revenir avec une charge d’outres pleines de vin, et chassant en avant un troupeau de bétail. On choisit un bouc, le plus vieux et le plus barbu qu’on put trouver, et on l’immole à Mars bon Guide et bon Compagnon.

Un copieux festin s’apprête : Vous allez voir, dit alors l’étranger, si je ne sais être votre chef qu’en fait d’expéditions et de capture, et si j’y vas de main morte quand il s’agit de vos plaisirs. Voilà mon homme aussitôt à la besogne, et qui la dépêche avec une aisance merveilleuse : en moins de rien on voit le sol balayé et jonché, les mets rôtis ou fricassés de main de maître, dressés avec goût et servis à point ; mais surtout il a soin de multiplier les rasades et d’abreuver son monde largement. Tout en allant et venant, sous prétexte de vaquer au service, il visitait fréquemment la jeune fille, et lui glissait à la dérobée quelque bribe de festin ; ou, d’un œil brillant de plaisir, il lui offrait à boire dans une coupe où ses lèvres avaient d’abord trempé. Toutes ces prévenances étaient accueillies d’un air passionné. Une bouche caressante allait au-devant du baiser qui lui était destiné, et le rendait avec usure. Ces privautés me déplaisaient fort. Ah ! jeune fille, disais-je, as-tu donc oublié la foi promise et cette ardeur mutuelle ! À ce mari que je ne connais point, mais qu’ont choisi tes parents, peux-tu préférer un coureur de grands chemins, un coupe-jarrets ? Quoi ! sans remords, foulant aux pieds tout sentiment, tu te prostitues ainsi de gaieté de cœur au milieu des lances et des épées ? Et si le reste de la troupe avait le moindre soupçon de votre intelligence… ? derechef on aurait recours au pauvre âne, au risque de ce qui peut lui en revenir. Ah ! c’est trop se jouer de ma peau.

Tandis qu’un sentiment d’indignation m’entraînait ainsi aux suppositions les plus injustes, quelques demi-mots, faciles à interpréter pour un âne aussi intelligent, m’eurent bientôt mis au fait. Je compris que le prétendu brigand Hémus n’était autre que Tlépolème, le propre fiancé de la jeune fille. En effet, de parole en parole, il finit par lui dire assez haut, sans plus s’inquiéter de ma présence que si j’eusse été défunt : Courage ! ma bien aimée Charité ! tes ennemis sous peu vont être en ton pouvoir. Et il revenait toujours plus pressant vers ses convives, leur versant le vin coup sur coup, sans y mêler une goutte d’eau, et après l’avoir fait tiédir. Déjà la tête leur tourne ; lui, toujours sur la réserve, ne cesse d’arroser leur ivresse. À vrai dire, j’eus quelque soupçon qu’il