mains. Mais cette noble association d’antique prouesse, et, avec elle, tout ce que je possédais de fortune, tout cela a péri dans un moment. Dans une attaque nocturne contre un intendant des finances impériales, depuis tombé en disgrâce… Mais il est bon de reprendre les choses d’un peu plus haut.
Il y avait à la cour de César un personnage éminent par ses services, et dont l’empereur faisait personnellement le plus grand cas. Il eut des envieux, et leurs manœuvres parvinrent à élever contre lui une accusation qui aboutit à l’exil. Son épouse Plotine, femme d’un mérite rare, d’une fidélité exemplaire, et dont l’heureuse fécondité avait grossi sa famille d’un dixième gage de leur union, prit l’héroïque résolution de renoncer aux fastueuses délices de la vie romaine, pour suivre un époux banni et s’associer à son infortune. Elle rasa ses cheveux, prit un habit d’homme, rassembla tout ce qu’elle possédait d’argent monnayé, et le renferma avec ses plus précieux bijoux dans sa ceinture. On la voyait à la tête de l’escorte, intrépide au milieu des armes, partager tous les périls de son mari, et supporter, pour l’amour de lui, les veilles et les fatigues avec une force et une constance au-dessus de son sexe.
Enfin, après avoir surmonté les difficultés sans nombre d’un voyage par terre et les terreurs d’une traversée maritime, ils se dirigeaient sur l’île de Zacinthe, que le fatal décret leur avait assignée pour résidence temporaire. Ils touchaient à Actium au moment où notre troupe, qui, alors, exploitait la Macédoine, battait le pays dans les environs. La nuit était fort avancée, et l’équipage, pour ne pas coucher à bord, s’était établi dans une petite auberge sur le rivage, à proximité du navire. Nous profitâmes de l’occasion pour fondre sur eux ; et, après avoir fait main basse sur ce qu’ils possédaient, nous disparûmes, non sans avoir couru nous-mêmes un grand danger ; car la dame, au premier bruit qu’elle entendit à la porte, se mit à courir dans sa chambre, s’efforçant par des cris répétés de donner l’alarme. Soldats et domestiques, elle appelait chacun par son nom, et réclamait en même temps le secours de tout le voisinage. Par bonheur chacun resta blotti dans son coin, et craignant pour sa peau : autrement nous n’eussions pas effectué impunément notre retraite.
Cependant cette admirable (car il faut dire la vérité), cette incomparable épouse, profitant de l’intérêt excité par sa noble conduite, obtint de l’empereur par ses sollicitations que son mari serait rappelé, et que justice serait faite de notre agression. César, un beau jour, voulut qu’il n’existât plus de bande du brigand Hémus, et la bande fut anéantie. Un grand prince n’a qu’à vouloir. Cernée par une force supérieure, ma troupe fut accablée et taillée en pièces. Seul j’échappai aux gouffres de l’Érèbe, et voici par quel moyen. Je m’affublai d’une robe de femme à grand ramage, à plis flottants ; et, coiffé d’un chapeau d’étoffe, les pieds passés dans des mules blanches et fines, comme en portent les femmes, je me juchai sur un âne qui portait des gerbes d’orge, et, grâce à mon accoutrement féminin, je passai sans encombre au beau milieu des ennemis. On me prit pour la femme de quelque ânier, et les rangs s’ouvrirent pour me faire