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souvenir de cette aventure, et de ma gratitude pour la bonté des dieux. Dans le vestibule de ma demeure, un tableau votif retracera l’image de notre fuite. On verra figurée, on entendra raconter, on lira dans les beaux livres, jusqu’à la postérité la plus reculée, la naïve histoire de La jeune princesse délivrée de captivité par un âne. L’antiquité te comptera au nombre de ses merveilles ; ton exemple rendra croyable, et le transport de Phryxus à dos de bélier, et le dauphin discipliné par Arion, et le taureau s’offrant pour monture à Europe. Jupiter a bien pu mugir sous la forme d’un bœuf : qui sait si sous cette figure d’âne ne se cachent pas les traits d’un homme, d’un dieu peut-être ?

Tandis que la jeune fille exprimait ainsi des vœux entremêlés de fréquents soupirs, nous arrivons à un carrefour. Là, s’emparant de la bride, elle s’efforce de me faire tourner à droite, parce que c’était le chemin qui conduisait chez ses parents. Moi qui savais que c’était dans cette direction que les voleurs étaient allés chercher le reste de leur butin, je résistais de toutes mes forces, en lui adressant cette supplication muette : Que fais-tu, malheureuse enfant ? que fais-tu ? c’est te précipiter dans un abîme. Où veux-tu me conduire ? Tu vas consommer du même coup ta perte et la mienne.

Pendant que nous étions là, chacun tirant à soi, comme dans une question de propriété ou de bornage, bien qu’il ne s’agît au fond que de prendre à droite ou à gauche, nous voilà tout à coup face à face avec les voleurs qui revenaient chargés de leur butin. Ils nous avaient reconnus de loin au clair de la lune, et salués de leurs risées. L’un d’eux nous apostrophe en ces termes : Où donc allez-vous si vite à pareille heure ? Vous ne craignez pas les Larves ni les Mânes dans vos excursions nocturnes ? L’honnête fille va sans doute voir ses chers parents en cachette ? Eh bien ! nous allons lui donner bonne compagnie, lui montrer le plus court chemin. Le geste suit ; et, d’une main saisissant mon licou, le voleur m’oblige à rebrousser chemin, non sans me faire renouveler connaissance avec le bâton noueux qu’il tenait de l’autre. Ainsi piteusement revenu à la perspective d’une mort certaine, je me rappelle tout à coup mon mal de pied, et je recommence à boiter en hochant de la tête. Oh ! oh ! dit celui qui venait de me faire faire volte-face, te voilà clopinant et chopant de nouveau. Ces pieds pourris, qui savent si bien fuir, ne sauraient marcher, Tout à l’heure tu aurais défié les ailes de Pégase.

Pendant cette aimable plaisanterie, qu’accompagnait le jeu de son bâton, nous arrivons à la palissade extérieure de la caverne. Là nous vîmes la vieille pendue à la branche élevée d’un haut cyprès. Ils la détachent, et, sans se donner la peine d’ôter la corde qui lui serrait le cou, la jettent au fond d’un précipice. Ensuite, après avoir garrotté la jeune fille, ils se jettent en loups affamés sur le repas que le zèle posthume de la malheureuse vieille avait préparé pour eux. Tout en le dévorant, mes gloutons se mettent à délibérer sur notre châtiment et leur vengeance. Comme dans toute assemblée turbulente, chacun eut son avis. Celui-ci opinait pour que la patiente fût brûlée vive, celui-là conseillait de la livrer aux bêtes féroces, un troisième voulait