Nul serviteur ne paraît. Tout se meut comme par un souffle. Psyché ne voit personne ; elle entend seulement des voix : ce sont ces voix qui la servent.
Après un repas délectable, un invisible musicien se met à chanter, un autre joue de la lyre : on ne voit ni l’instrument ni l’artiste. Un concert de voix se fait entendre ; c’est l’exécution d’un chœur sans choristes. Enfin, au milieu de tant de plaisirs, le soir vient ; et Psyché, que l’heure invite au repos, se retire dans son appartement.
Déjà la nuit avançait ; un bruit léger vient frapper son oreille : la jeune vierge s’inquiète alors de sa solitude. Sa pudeur s’alarme, elle frémit, elle craint d’autant plus qu’elle ignore ; mais déjà l’époux mystérieux est entré, il a pris place, et Psyché est devenue sa femme. Aux premiers rayons du jour il a disparu. Aussitôt les voix sont là pour prêter leur ministère à l’épouse d’une nuit et panser de douces blessures. Le temps s’écoule cependant, et chaque nuit ramène la même scène. Par un effet naturel, Psyché commence à se faire à cette singulière existence ; l’habitude lui en semble douce ; et le mystère de ces voix donne de l’intérêt à sa solitude.
Cependant les malheureux parents usaient leurs vieux jours dans une douleur sans fin. L’aventure de Psyché avait fait du bruit, et la renommée l’avait fait parvenir aux oreilles de ses sœurs aînées. Toutes deux, le cœur serré, et la douleur peinte sur le visage, avaient quitté leurs foyers, empressées d’aller chercher la présence et l’entretien de leurs vieux parents. La nuit même de leur arrivée, l’époux eut avec Psyché la conversation suivante :
Ma Psyché, ma compagne adorée, la cruelle Fortune te prépare la plus périlleuse des épreuves. Ta prudence, crois-moi, ne saurait être trop éveillée. On te croit morte, et tes deux sœurs, affligées de ta perte, sont déjà sur ta trace. Elles vont venir au pied de ce rocher. Si leurs lamentations arrivent jusqu’à ton oreille, garde-toi de leur répondre, de leur donner même un coup d’œil. Sinon, il en résultera pour moi les plus grands chagrins, pour toi les plus grands malheurs.
Psyché parut se résigner, et promit obéissance. Mais l’époux n’eut pas plutôt disparu avec les ténèbres, qu’elle se lamente, et toute la journée se passe en pleurs et en gémissements. C’est maintenant qu’elle est perdue, puisque ces beaux lieux ne sont qu’une prison pour elle, puisque désormais, sevrée de tout commerce humain, elle ne peut rassurer ses sœurs désolées, et qu’elle n’a pas même la consolation de les voir. Elle néglige le bain, ne prend aucune nourriture, et se refuse à toute distraction. Ses pleurs n’avaient pas cessé de couler, quand elle se retira pour se mettre au lit.
Son mari est à ses côtés plus tôt que de coutume ; et l’embrassant tout éplorée : Ma Psyché, dit-il, est-ce là ce que tu m’avais promis ? Ton époux n’a-t-il rien à attendre, rien à espérer de toi ? Quoi donc ! toujours gémir, et le jour et la nuit, et jusque dans mes bras ? Eh bien ! satisfais ton envie, contente un désir funeste : mais rappelle-toi mes avis, lorsque viendra (trop tard hélas !) le moment du repentir. Psyché le presse, Psyché l’implore : il y va, dit-elle, de sa vie. Enfin elle l’emporte. Elle verra ses sœurs, elle pourra les consoler, s’épancher avec elles.