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terreur dans toute cette foule, que jusqu’au grand jour, et même longtemps après, personne n’avait osé toucher, même du bout du doigt, le monstre étendu sans vie. Enfin après mainte hésitation, un boucher, plus hardi que le reste, ouvrit le ventre de la bête, et le corps de l’héroïque brigand parut alors sous cette dépouille. Voilà comment Thrasyléon est perdu pour ses amis ; mais son souvenir est impérissable. Quant à nous, après avoir réuni tous nos ballots, dont les excellents morts se montrèrent fidèles dépositaires, nous quittâmes lestement le territoire de Platée, non sans faire plus d’une fois réflexion qu’il était tout simple qu’on ne trouvât plus la bonne foi dans le commerce de la vie, puisqu’en haine de la perversité des vivants, elle s’était réfugiée chez les morts. En résumé, nous arrivons bien fatigués d’avoir porté lourd et marché ferme. Trois de nous manquent à l’appel, et voilà notre butin.

Ce récit terminé, ils prennent des coupes d’or, et font des libations de vin pur à la mémoire de leurs défunts camarades. On entonne ensuite des hymnes en l’honneur du dieu Mars, puis on prend quelque repos. Quant à nous, la vieille nous apporta de l’orge nouvelle, à discrétion et sans la mesurer. Mon cheval ne s’était jamais trouvé à pareille fête ; c’était pour lui un vrai repas de Saliens. Notez que je lui en laissai ma part. Je suis assez amateur d’orge ; mais il me la faut bien pilée, et cuite en mijotant dans le bouillon. Or, en furetant de coin en coin, je finis par trouver celui où l’on déposait le pain de reste du souper. Aussitôt je me mis à jouer vaillamment des mâchoires. Depuis le temps que je jeûnais, mon gosier avait bien pu se tapisser de toiles d’araignée.

La nuit s’avançant, les voleurs se réveillent, et décampent diversement accoutrés : les uns armés, les autres déguisés en spectres. Bientôt toute la bande fut loin. Je continuais cependant à manger fort et ferme, en dépit de l’envie de dormir qui commençait à me gagner. Au temps où j’étais Lucius, un pain ou deux suffisaient à mon appétit, mais depuis il m’était survenu un ventre d’une bien autre ampleur à remplir ; et je ruminais déjà sur la troisième corbeille, quand, à ma honte, le grand jour me surprit dans cette occupation. Pour ne pas déroger à la sobriété proverbiale de l’espèce, je fis alors une pause à mon grand regret, et j’allai me désaltérer dans un ruisseau voisin.

Les voleurs ne tardèrent pas à revenir, l’air inquiet et troublé, ne rapportant aucun butin, pas la moindre harde. Mais ils retournaient en masse, tous l’épée au poing, et conduisant avec assez d’égards une jeune fille de haute condition, à en juger par les dehors, et telle qu’un âne de ma sorte ne pouvait la voir impunément, je vous assure. L’infortunée était au désespoir ; elle s’arrachait les cheveux et déchirait ses vêtements.