Une maison avait été construite de pièces de rapport, avec des tours en bois à plusieurs étages ; édifice mobile, orné de fraîches peintures, d’où l’on pouvait se donner le spectacle de la chasse. Et quelle réunion d’animaux ! quelle variété d’espèces ! Démocharès aimait à se donner en grand le divertissement des condamnés livrés aux bêtes, et savait mettre à contribution même les pays les plus éloignés.
Mais le plus remarquable élément de ce magnifique ensemble de représentation théâtrale était une riche collection d’ours énormes, que le maître n’épargnait rien pour se procurer. Il la recrutait par ses propres chasses, par des achats à grands frais, et aussi par les libéralités de ses amis, qui le comblaient à qui mieux mieux de cadeaux de cette espèce. Sa sollicitude pour ses ours avait constitué leur entretien sur la plus grande échelle. Mais le sort vit d’un œil jaloux ces apprêts splendides, et les joies que s’en promettait le public. L’ennui de la captivité, les chaleurs de la canicule, la privation de mouvement, affectèrent la santé des ours ; on les vit pâtir, languir, dépérir : une maladie contagieuse se déclara, et les emporta presque jusqu’au dernier. Ces grands corps mourants encombraient les places publiques, comme on voit les débris s’amonceler sur la côte après un naufrage. Et le pauvre peuple, à qui la misère ne permet pas de se montrer dégoûté en fait d’aliments, qui de tout fait ventre, surtout quand il n’en coûte rien, affluait de tous côtés à cette curée de carrefour.
Nous bâtimes là-dessus, moi et ce bon sujet de Babulus, l’ingénieuse conception que voici. Au nombre des morts se trouvait un ours qui surpassait en grosseur tous les autres. Nous l’emportâmes au lieu de notre retraite, comme pour en faire nos repas. Là nous enlevons artistement la peau de dessus la chair, en ayant bien soin de conserver les griffes, et même en laissant le mufle intact depuis sa jonction avec le cou. Toute cette peau fut soigneusement raclée à l’intérieur, saupoudrée de cendre passée au tamis, et ensuite étendue au soleil pour sécher. Nous, pendant que cette dessiccation s’opérait au feu céleste, nous faisions bravement bombance avec la viande de l’animal. Après quoi, on ouvrit la campagne par le serment dont voici la teneur : L’un de nous, non pas tant le plus robuste que le plus déterminé, allait, de son gré bien entendu, s’enfermer dans cette peau et contrefaire l’ours. On le porterait dans cet équipage chez Démocharès, et, à la faveur de la nuit, il nous procurerait l’entrée de la maison. Le rôle était assez neuf pour trouver plus d’un amateur dans les braves de notre troupe. Thrasyléon fut désigné à la pluralité des voix, et accepta le chanceux travestissement. Le voilà donc s’affublant gaiement de cette peau, que la préparation avait rendue souple et maniable. On en rejoint ensuite les deux bords par une couture à points serrés, dont la trace, déjà presque imperceptible, se dérobe tout à fait sous les poils rabattus de l’épaisse fourrure. La tête de Thrasyléon se loge, en forçant un peu, immédiatement au-dessous de l’ouverture de la gueule, à l’endroit où le cou de la bête avait été coupé. On lui perce de petits trous vis-à-vis les yeux et le nez, pour qu’il puisse y voir et respirer. Enfin nous nous procurons une cage à bas prix, et notre intrépide camarade prélude à son rôle d’ours, en s’y fourrant résolument à quatre pattes.
Notre stratagème ainsi préparé, voici com-