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de quadrupède, et me redresser sous la forme humaine.

Tandis que je me perdais dans un océan de réflexions, je crus voir à quelque distance un vallon boisé, formant un épais ombrage. De loin, mes yeux étaient réjouis d’une délicieuse verdure, émaillée de mille fleurs, parmi lesquelles tranchait vivement l’incarnat de la rose. Mon imagination n’était pas encore abrutie : aussi se peignit-elle soudain le bocage favori de Vénus et des Grâces, et, sous son mystérieux feuillage, la fleur consacrait à la déesse s’épanouissant dans tout son éclat royal. Invoquant donc le dieu du Succès, je pars au galop, avec la vitesse, non plus d’un âne, mais d’un cheval de course lancé à fond de train. Vain effort ! rien ne servait contre ma mauvaise fortune. J’approche ; adieu les roses ! adieu ces tendres et délicates fleurs, arrosées de nectar et d’ambroisie ! adieu le divin buisson et ses mystiques épines ! adieu même le vallon ! Je ne vois plus que l’encaissement d’une petite rivière, bordée d’une rangée d’arbres touffus, de ces arbres à feuilles oblongues, imitant celles du laurier, et dont la fleur au calice allongé, d’un rouge pâle, et complètement inodore, n’en a pas moins usurpé dans le rustique vocabulaire le nom de laurier-rose. C’est pour tout animal une nourriture mortelle. Mais, dans cette fatale conjoncture, décidé à mourir, je persistais à vouloir manger de ces roses vénéneuses, et j’en approchais, sans trop d’empressement toutefois, lorsqu’un jeune garçon, apparemment le jardinier de l’enclos où j’avais fait un si grand ravage de légumes, accourut, exaspéré de ce dégât, un long bâton à la main. Le drôle me roua de coups, et m’aurait laissé sur la place, si je ne me fusse moi-même secouru fort à propos. Je levai soudain la croupe, et, lui détachant force ruades, je le jetai en assez mauvais état contre l’escarpement de la berge. Puis je pris ma course aussitôt.

Mais une femme (la sienne sans doute), qui d’en haut l’avait vu terrassé et sans mouvement, s’élance vers lui avec des hurlements lamentables, et implorant à grands cris, pour elle, une pitié que la gaillarde voulait tourner à mon détriment. Ses doléances, en effet, mirent sur pied toute la population du village. Voilà qu’on appelle les chiens ; et chacun d’exciter leur rage à me mettre en pièces. Cette fois, je me crus à ma dernière heure : voir une bande de chiens, et quels chiens ! (tous de force à combattre des lions et des ours !) déchaînés ensemble contre moi ! Je prends mon parti. Je cesse de fuir, et, revenant sur mes pas, je regagne au plus vite l’écurie où nous étions d’abord entrés. Les paysans, après avoir arrêté leurs chiens à grand-peine, me saisissent, et m’attachent avec une forte courroie à un anneau scellé dans le mur ; et puis, on recommence à me battre. Infailliblement, j’allais être assommé, quand mes intestins, contractés par la douleur des coups et déjà torturés par l’indigeste amas de légumes crus dont je les avais bourrés, tout à coup se dilatent et font explosion, lançant une certaine matière dont les éclaboussures atteignent les uns, et dont l’odeur, en dispersant les autres, dégage mon dos à moitié moulu.

Il était midi passé, et le soleil déclinait déjà. Les voleurs nous rechargent à la hâte, en augm-