Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/317

Cette page n’a pas encore été corrigée

m’a fait jurer, par le dieu dont c’est aujourd’hui la fête, de souper avec lui ce soir. Il reste au logis, et ne me permettra pas d’en sortir. Ce sera donc partie remise. Je n’avais pas fini de parler, que déjà Milon m’appréhendait au corps, et m’entraînait aux bains les plus proches, donnant l’ordre de nous y apporter tout ce qu’il nous fallait. Je me serrais contre lui, pour me dissimuler autant qu’il m’était possible, évitant les regards des passants, et très peu jaloux de jouir de la gaieté qu’inspirait ma présence. Dans ma confusion, je me laissai baigner, essuyer et ramener au logis sans savoir comment : tant le souvenir de tous ces yeux, de tous ces doigts braqués ensemble sur ma personne, m’avait en quelque sorte abasourdi.

Je dépêchai le maigre souper de Milon, et, sous prétexte d’un violent mal de tête que je m’étais donné à force de pleurer, j’obtins aisément la permission d’aller me coucher. Je ruminais tristement dans mon lit sur mon aventure du jour, quand Photis vint me trouver après le coucher de sa maîtresse. Je la trouvai toute changée : ce n’était plus son minois éveillé, son propos égrillard. Sa langue hésitait, sa parole était timide. Je suis, dit-elle, je le confesse, la cause de tout le désagrément qu’on vous a fait essuyer. Là-dessus, elle tire de son sein une lanière, et me la présente : Vengez-vous, ajouta-t-elle, vengez-vous d’une femme aussi coupable, ou plutôt infligez-moi quelque châtiment plus rude encore : mais ne croyez pas que j’aie volontairement amené cette cruelle scène. Me préserve le ciel de vous causer la peine la plus légère ; puissé-je même, si quelque infortune vous menace, la racheter au prix de mon sang ! Ce que j’avais ourdi par ordre et en vue d’un autre, ma funeste étoile l’a fait tourner contre vous.

Ma curiosité naturelle s’éveille à ce propos ; et désirant pénétrer ce mystère : Moi, te frapper de cette odieuse et horrible courroie ! m’écriai-je ; plutôt la mettre en pièces mille fois, que d’en effleurer seulement le délicat tissu de cette peau d’albâtre ! Mais dis-moi, je t’en supplie, qu’as-tu donc fait qui m’ait été si fatal ? Je le jure par cette tête chérie, je ne te supposerai jamais capable d’une machination contre moi ; tu l’affirmerais, que je ne le croirais pas ; et quand l’intention est innocente, un hasard, fût-il même funeste, ne saurait la rendre criminelle.

Tandis que je parlais, Fotis me regardait timidement d’un œil humide et à demi voilé, où mille baisers allèrent aussitôt recueillir avidement et savourer ses douces larmes. Mes caresses lui rendirent sa gaieté. Avant tout, dit-elle, laissez-moi bien fermer la porte : un mot entendu au dehors serait de ma part la plus fatale des indiscrétions. En disant ces mots, elle va pousser les verrous et fermer le crochet. Puis revenant à moi, elle jette ses deux bras autour de mon cou, et d’une voix basse et singulièrement affaiblie : Je tremble, dit-elle, le cœur me manque. Dois-je révéler le secret de la maison, le grand arcane