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le sauras, lui répondis-je. Mais que vois-je ? Il faut que je te félicite. Un train, des faisceaux ! tout l’appareil de la magistrature ! Je suis édile, dit Pythéas ; j’ai la haute main sur les approvisionnements. As-tu quelqu’un à traiter ? on pourra t’être utile. Je le remerciai de ses avances, ayant assez pour mon souper du poisson dont j’avais déjà fait emplette.

Mais Pythéas avisant mon panier, se mit à secouer les poissons pour les mieux examiner : Combien as-tu payé cette drogue ? — Vingt deniers. C’est tout ce que j’ai pu faire que de les arracher à ce prix. À ces mots, il me prend brusquement par la main ; et me ramenant dans le marché : Et à qui de ces gens-là as-tu acheté cette belle marchandise ? Je montrai du doigt un petit vieillard assis dans un coin. Mon homme alors les apostrophant du haut de son édilité : Est-ce ainsi, vous autres, que vous rançonnez nos amis ? Et des étrangers encore ! Vendre à ce prix de pareil fretin ! À force de surfaire, vous affamerez cette ville qui est la fleur de toute la Thessalie, et vous nous la rendrez déserte comme un rocher. Mais prenez-y garde. Et toi, je vais t’apprendre comment les fripons sont menés sous mon administration. Répandant alors mon poisson sur le pavé, il ordonne à l’officier qui le suivait de marcher dessus, et d’écraser le tout sous ses pieds. Après cet acte de vigueur, mon Pythias se tourne vers moi, et me dit : C’est un homme d’âge ; il est assez puni par l’affront public que je lui ai fait.

Tout ébahi de cette scène, et sans argent ni souper, grâce à l’officieuse intervention de mon habile homme d’ami, je me résigne à aller au bain. De là, plus lavé que restauré, je regagne le logis de Milon, et enfin ma chambre. Photis vint me dire que le patron me demandait. Moi, bien au fait des habitudes d’abstinence de la maison, je fis une excuse polie : je n’étais que fatigué du voyage, et j’avais moins besoin de nourriture que de repos. Mais il ne s’en contenta pas, il vint en personne ; et m’appréhendant au corps avec une douce violence, il tâche de m’entraîner. Je résistais, je faisais des façons : Je ne sors pas d’ici sans vous, dit-il, en appuyant cette protestation d’un serment. Il fallut se rendre, et le suivre, bon gré, mal gré, jusqu’à son méchant lit, où il me fit asseoir. Comment va notre cher Déméas, me dit-il ? Et sa femme ? et ses enfants ? et toute la maisonnée ? À chaque question, une réponse. Il s’informe ensuite avec détail des motifs de mon voyage. Je les déduis tout au long. Puis le voilà qui s’enquiert par le menu de tout ce qui concerne ma ville natale, ses notables habitants, son premier magistrat, etc., etc. ; tant qu’enfin il s’aperçut qu’épuisé d’un si rude voyage, et non moins harassé de cette enfilade de questions, je tombais de sommeil avant la fin de chaque phrase, ne pouvant plus même franchir certaines articulations. Il me permit alors de gagner mon lit. Je m’échappai ainsi du famélique souper de ce vieux ladre ; lourd de tête, mais léger d’estomac ; ayant tâté de son babil pour tout potage. Et, rentré dans ma chambre, je goûtai enfin le repos si ardemment souhaité.