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nous bornerons à quelques réflexions. Selon Tacite, Pétrone s’était déjà fait ouvrir les veines, quand il retraça les débauches de Néron dans son testament ; son écrit devait donc être fort court ; et l’ouvrage qui nous reste, déjà trop considérable pour un mourant, était dans l’origine bien plus étendu, puisqu’il paraît démontré, par des intitulés de manuscrits, que près des neuf dixièmes sont perdus ; ensuite, Pétrone avait borné son récit aux débauches secrètes de Néron, sans autre voile que des noms supposés (sub nominibus exoletorum). Enfin, le caractère si varié de ce livre répugne à l’interprétation qui voudrait en faire un libelle, une diatribe personnelle et presque nominative. Sans prétendre, comme Voltaire, qu’il y ait plus loin de Trimalchion à Néron que de Gilles à Louis XIV, on doit dire que la cour spirituelle et polie de l’élève de Sénèque offrait fort peu de ressemblance avec les grossiers convives du vieux Turcaret gréco-romain. Trimalchion serait bien plutôt la caricature de l’empereur Claude, qu’il était de bon ton de ridiculiser sous son successeur Néron. Au reste, Macrobe constate suffisamment l’existence distincte du Satyricon, quand il dit : Pétrone, au moyen d’aventures fictives, écrivit des histoires d’amour et de petits contes (In Somn. Scip., 1. I).

Le narrateur et le héros du roman est une sorte de Gusman d’Alfarache, un jeune libertin perdu de dettes, sans fortune, sans famille, et réduit, avec tous ses talents, à vivre d’expédients plus ou moins périlleux. A la verve énergique et vraie de ses tableaux, qui changent et se succèdent sans plan, presque sans transition, comme dans la vie réelle, nous sommes bien tenté de croire que Pétrone a peint en grande partie les phases mêmes de son existence de parvenu, qui s’approprie avec un rare bonheur le persiflage et l’esprit d’observation ironique d’un homme haut placé. Il prend avec la même aisance les tons les plus opposés : vers et prose, préceptes d’éloquence ou de morale, scènes de volupté, description comique d’un festin ridiculement fastueux, anecdotes supérieurement contées, entre autres cette matrone d’Éphèse si connue, épopée même, lettres et propos d’amour raffiné et presque chevaleresque, tel est ce drame passionné, moqueur, fanfaron, tragique et burlesque, où le haut style et la narration la plus élégante succèdent au patois provincial et aux dictons populaires. L’étymologiste est donc libre d’y voir soit un roman satirique, soit un assemblage de mets divers, satura taux, pot-pourri, comme satura lex, dans le droit romain, loi qui renferme des titres variés, comme ces pièces de théâtre dont parle Tite-Live, 1. VII., c. 1 [saturse), mélanges de musique, de paroles et de danses, opéra.s-comiques de l’ancienne Rome.

L’œuvre de Pétrone appartient au genre de ces satires Ménippées que Varron avait composées à l’instar du Grec Ménippe. Telle est encore VJpokoloquintose de Sénèque, rival de cour de Pétron qui l’a imité quelquefois, comme il a fait de Li cain, tout en critiquant ce dernier avec un grai sens ; tels ont été en France, au XVP siècle, Catholicon d’Espagne, nommé aussi Satire M nippée, et jusqu’à nos jours une foule de compoi tions ou mordantes ou simplement gaies, tout mi-parties de prose et de vers.

Au jugement des critiques les plus accrédit des deux derniers siècles, Huet, RolMn, Rapii Bayle, etc., le style du Satyricon est riche, anim vigoureux, pétillant d’esprit ; souvent obscur p ; l’étrangeté des termes et l’altération trop fréqueii du texte ; semé çà et là de calembours et de jeux mots ; d’un pittoresque parfois emphatique et peu fardé : il offre aussi grand nombre de mo grecs latinisés et d’héllénismes. Mais l’auteur, d crivant les mœurs de Nnpies, ville gréco-r( maine, devait introduire ces locutions dans s( langage, comme un élément essentiel de vérité 1 cale. Comme Naples, à titre de cité grecque, éta le séjour de prédilection de Néron (Tacit., Jnnai l.XV, c. 33), Pétrone, en l’y accompagnant, ei^ toute liberté d’étudier cette ville, et son roman di probablement égayer plus d’une fois les loisirs d prince.

Soit l’effet d’une civilisation plus polie, soitp » une délicatesse de tact toute personnelle ou a’[ qnise par l’usage de la cour, il est à remarqui que Pétrone, jusque dans les pages les plus éri tiques, s’interdit constamment les gravelures > crudités de mots si familières à Catulle, à Maçtia et même à Horace. Sous ce rapport surtout, out : l’élégance du style, il mérite qu’on l’appelle « we^i purissimx impuritatis, comme ont dit les docte ! Les petites pièces de vers qui suivent le Salyricà présentent à un haut degré ce caractère de liness etde galanterie, pour ainsi dire française, qui I fait surnommer Pétrone leCrébillon latin (Palisse Corresp.) On peut du moins y reconnaître l’ii fluence de cette Gaule méridionale qui fut i| patrie, et qui, peu après, devait produire les troij : vères. Ce serait donc aussi comme compatriol qu’il aurait droit de nous intéresser. Une autiii observation à l’aire, c’est qu’un valet, dansPlaul ou Térence, s’exprime en termes d’aussi bon clio que ceux de son maître, tandis que, chez Pétronii les gens de la lie du peuple parlent franchemei ; la langue du peuple. Il faut croire que les deu ! mérites que nous venons de citer n’ont pas él pour peu de chose dans l’enthousiasme que man festèrent pour cet auteur nombre de savants ( gens du grand monde au siècle de Louis XI entre autres Bussy-Rabutin, Saint-Évremond, t le grand Condé, qui pensionnait un lecteur chargl exclusivement de lui lire, et probablement de lijl’ expliquer Pétrone. ! |

Le Satyricon n’a été découvert et publié qu| par fragments successifs, et n’est à présent mêm’i qu’une série de fragments séparés par maintes la