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des Immortels, relégués dans le Tartare de cette vie, privés de toute communication avec les dieux, n'ont aucune divinité qui veille sur eux, comme un pasteur sur ses brebis, comme un écuyer sur ses coursiers, comme un bouvier sur ses troupeaux ; si nulle puissance céleste ne modère la fureur des méchants, ne guérit les malades, ne soulage les indigents ? Vous dites qu'aucun dieu ne s'occupe des choses humaines : à qui donc dois-je adresser mes prières ? à qui offrirai-je mes vœux ? à qui immolerai-je des victimes ? qui pourrai-je invoquer comme le protecteur des malheureux, le défenseur des innocents, l'ennemi des pervers ? qui appellerai-je enfin comme le juge de mes serments ? Dirai-je, comme l'Ascagne de Virgile : « Je jure sur cette tète, sur laquelle mon père faisait ses serments ? » Sans doute, Jule, ton père pouvait invoquer ce gage sacré parmi les Troyens, qui étaient issus de la même race que lui, et peut-être encore parmi les Grecs, qui l'avaient connu dans les combats ; mais parmi les Rutules, que tu viens de connaître tout récemment, si personne ne veut se fier à cette tête, quel dieu répondra pour toi ? En appelleras-tu, comme le féroce Mézence, à ton bras et à ton javelot ? car ce tyran n'avait de respect que pour ses armes : "Mon dieu, c'est cette main, c'est ce trait que je lance." Écartez ces dieux si cruels, cette main fatiguée de meurtres, ce javelot rouillé par le sang : ni l'un ni l'autre n'a rien en soi qui mérite qu'on les invoque ou qu'on jure par eux ; cet honneur n'appartient qu'au maitre des dieux car le serment, comme le dit Ennius, c'est le jurement de Jupiter. Et que faire ? Faut-il jurer par le Jupiter en pierre, selon l'ancienne coutume des Romains ? Mais, si l'opinion de Platon est vraie, si les dieux n'ont aucune communication avec les hommes, la pierre m'entendra-t-elle plus facilement que Jupiter ?

Chapitre 6

Non, vous répondra Platon par ma bouche, non, les dieux ne sont pas tellement distincts et séparés des hommes, qu'ils ne puissent entendre nos vœux. Ils sont, il est vrai, étrangers au contact, mais non au soin des choses humaines. Il y a des divinités intermédiaires qui habitent entre les hauteurs du ciel et l'élément terrestre, dans ce milieu qu'occupe l'air, et qui transmettent aux dieux nos désirs et les mérites de nos actions : les Grecs les appellent démons. Messagers de prières et de bienfaits entre les hommes et les dieux, ces démons portent et reportent des uns aux autres, d'un côté les demandes, de l'autre les secours ; interprètes auprès des uns, génies secourables auprès des autres, comme le pense Platon dans son Banquet, ils président aussi aux révélations, aux enchantements des magiciens, à tous les présages. Chacun d'eux a ses attributions particulières. Ils composent les songes, découpent les victimes, règlent le volet le chant des oiseaux, inspirent les devins, lancent la foudre, font briller les éclairs, et s'occupent enfin de tout ce qui nous révèle l'avenir : toutes choses que nous devons croire