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245 SONNET CCCXI. RETOUR A DIEU. La Mort a éteint ce soleil qui toujours m'éblouit ; et les ténèbres ont envahi mes yeux, quoique entiers et sains : la terre a dévoré celle qui me fit souffrir et le froid et le chaud : mes lauriers sont devenus aujourd'hui des chênes ou des ormes, Du haut desquels je vois le bien que je désire; et ce- pendant je m'afflige. Il n'est personne qui épouvante mes pensers et les enhardisse, ni qui les glace et les réchauffe, ni qui les emplisse d'espérance et me comble de douleur. Délivré des mains de celui qui blesse et qui guérit, et qui fit jadis de moi un si long carnage, je jouis de la liberté qui m'est amère et douce à la fois. Et, las de l'existence, non moins que rassasié, je re- tourne au Seigneur, que j'adore et que je remercie, et dont le regard gouverne et soutient le ciel. SONNET CCCXII. IL SE REPREND D'AVOIR PERDU TANT D'ANNÉES. Amour m'a tenu, pendant vingt années, heureux dans le feu où je me consumais, et plein d'espérance au milieu de mes douleurs : depuis que Madame, et mon cœur avec elle, est montée au ciel, dix années encore il a fait couler mes larmes. A la fin je suis las, et je retire ma vie de toutes ces er- reurs où s'est presque éteint le germe de la vertu, et je reviens dévotement te confier, ô Dieu puissant, les der- niers jours qui me restent. Triste et repentant aujourd'hui d'avoir ainsi dépensé les années que je devais dépenser pour un meilleur usage, à chercher la paix et à fuir les tourments des passions. Seigneur, qui m'as enfermé dans cette prison, sauve- moi de la perte éternelle, car je connais que j'ai failli, et ne m'en excuse pas. 21.