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SONNET CXXII.

LES LARMES DE LAURE.

Ni Jupiter ni César ne furent jamais si prêts, celui-là à foudroyer et celui-ci à frapper, que la pitié n’eût éteint leur colère et ne leur eût enlevé à tous les deux leurs armes accoutumées.

Madame pleurait ; et mon seigneur (que n’étais-je à sa place !)est allé pour la voir et pour écouter ses plaintes, afin de m’accabler de regret et de désir, et de me faire souffrir jusque dans ma moelle et mes os.

Amour m’a dépeint ou plutôt sculpté ces pleurs charmants, et il a gravé ces suaves paroles sur un diamant au milieu de mon cœur,

Où souvent il rentre avec des clés solides et ingénieuses, pour en extraire de précieuses larmes et des soupirs longs et pénibles.


SONNET CXXIII.

MÊME SUJET.

J’ai vu sur la terre des mœurs angéliques et de célestes, beautés uniques en ce monde ; si bien que le souvenir m’en charme et m’en afflige, car tout ce que je vois ne me semble que songes, ombre et fumée.

J’ai vu pleurer ces deux beaux yeux qui ont mille fois excité la jalousie du Soleil, et j’ai entendu au milieu des soupirs résonner des paroles qui feraient marcher les montagnes et s’arrêter les fleuves.

Amour, sagesse, mérite, sensibilité et douleur formaient en pleurant un concert plus doux que nul autre qui se fasse entendre dans le monde,

Et le ciel était si attentif à cette harmonie qu’on ne voyait pas une feuille remuer sur la branche, si grande était la douceur qui avait envahi et les airs et les vents.