Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écartées, j’ai remarqué avec plaisir, je l’avoue, que tu vis de telle sorte que tu dépasses on sobriété et en tempérance tes amis particuliers et communs. Je laisse aussi de côté la colère. Quoique tu t’emportes souvent plus que de raison, aussitôt grâce à ton caractère naturellement doux, tu as coutume de dompter les mouvements de ton âme, en te rappelant le conseil d’Horace : La colère est une courte folie. Maîtrise la passion : si elle n’obéit pas, elle commande ; mets-lui un frein, enchaine-la[1].

Pétrarque. Cette parole du poète et d’autres réflexions philosophiques du même genre m’ont un peu servi, je l’avoue ; mais ce qui m’a servi surtout, c’est la pensée de la brièveté de la vie. Quelle rage, en effet, que d’employer à haïr les hommes et à leur nuire le peu de jours que nous passons parmi eux ? Viendra bientôt le jour suprême, qui éteindra cette flamme dans les cœurs humains, qui mettra un terme aux haines, et si nous ne souhaitons à notre ennemi rien de plus cruel que la mort, qui accomplira notre coupable vœu. Ainsi, à quoi bon se perdre soi-même et perdre les autres ? à quoi bon laisser échapper la meilleure partie d’un temps si court ? Quand les jours destinés aux joies honnêtes du présent et aux méditations de la vie future y suffisent à peine, malgré la plus grande parcimonie, à quoi bon les priver de leur usage nécessaire et propre, et les

  1. Épîtres, I, 2, 62-63.