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Pétrarque. Je fais bien pour cela tous mes efforts ; mais, comme les exigences de la condition humaine me secouent, je suis arraché malgré moi. Ce n’est pas sans raison, j’imagine, que les anciens poètes ont dédié à deux divinités la double colline du Parnasse : ils ont voulu implorer d’Apollon, qu’ils nommaient le dieu du génie, les ressources intérieures de l’intelligence, et de Bacchus la suffisance des choses extérieures. Cette manière de voir m’a été suggérée, non seulement par les leçons de l’expérience, mais par les nombreux témoignages d’hommes très savants qu’il est inutile de vous citer. Aussi, quoique la pluralité des dieux soit ridicule, cette opinion des poètes n’est point tout à fait dénuée de sens. En la rapportant à un seul Dieu, d’où vient tout secours opportun, je ne crois point déraisonner, à moins que vous ne pensiez autrement.

S. Augustin. Je ne nie pas qu’en cela tu aies raison, mais je m’indigne de ce que tu partages si mal ton temps. Tu avais destiné jadis ta vie tout entière à d’honorables travaux : si tu étais forcé d’employer du temps à d’autres occupations, tu le regardais comme perdu ; mais, maintenant, tu n’accordes au beau que les instants dérobés à l’avarice. Qui ne désire parvenir à cet âge avancé qui fait ainsi varier les desseins des hommes ? Mais quel en sera le terme ou la mesure ? Plante une borne devant toi, et, quand tu l’auras atteinte, arrête-toi et respire enfin. Tu sais que cette