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poursuivant, tu seras entraîné à travers les précipices des passions.

Te souvient-il avec quel plaisir tu errais jadis dans une campagne retirée ? Tantôt, couché sur le lit de gazon des prairies, tu écoutais le murmure de l’eau luttant contre les cailloux ; tantôt, assis sur une colline découverte, tu mesurais librement du regard la plaine étendue à tes pieds ; tantôt, goûtant un doux sommeil sous les ombrages d’un vallon exposé au midi, tu jouissais d’un silence désiré. Jamais oisif, tu ruminais toujours dans ton esprit quelque haute pensée ; accompagné des Muses seules, tu n’étais seul nulle part ; enfin à l’exemple du vieillard de Virgile, qui croyait égaler l’opulence des rois, et le soir en rentrant dans sa chaumière, chargeait sa table de mets qui ne lui coûtaient rien[1] ; au coucher du soleil, regagnant ton humble toit et content de tes biens, ne te trouvais-tu pas de beaucoup le plus riche et le plus heureux de tous les mortels ?

Pétrarque. Hélas ! je me le rappelle maintenant et le souvenir de ce temps-là me fait soupirer.

S. Augustin. Pourquoi soupires-tu ? et quel est l’auteur insensé de tes maux ? C’est assurément ton esprit qui a rougi d’obéir si longtemps aux lois de sa nature, et qui a cru être esclave en ne brisant pas son frein. Il t’entraîne maintenant avec impétuosité, et, si tu ne serres pas la bride, il

  1. Géorgiques, IV, 132-133.