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n’y as-tu pas gravé également ces paroles du satirique : À quoi servent ces richesses amassées par tant de tourments ? N’est-ce pas une folie avérée, une véritable frénésie, que de vivre manquant de tout pour mourir opulent[1] ? Sans doute, c’est parce que tu trouves qu’il est plus beau de mourir dans un linceul de pourpre, de reposer dans un tombeau de marbre, et de laisser à tes héritiers le soin de se disputer une opulente succession que tu désires les richesses qui procurent de tels avantages. C’est une peine inutile et, si tu m’en crois, insensée. Si tu envisages la nature humaine en général, tu remarqueras qu’elle se contente de peu, et, si tu considères la tienne en particulier, il n’est presque personne qui se contentât de moins, si tu n’étais pas aveuglé par les préjugés. Le poète avait en vue les mœurs populaires, ou peut-être le caractère de son personnage[2], lorsqu’il a dit : Mes tristes aliments sont des baies sauvages, le fruit pierreux du cornouiller et des herbes arrachées avec leurs racines[3]. Tu avoueras, au contraire, qu’il n’y a rien de plus doux et de plus agréable pour toi qu’un tel régime, si tu consultes tes goûts, et non les lois d’un monde insensé. Pourquoi donc te tourmenter ? Si tu te règles sur ta nature, tu étais riche depuis longtemps, mais tu ne pourras jamais être riche au gré du monde ; il te manquera toujours quelque chose, et, en le

  1. Juvénal, XIV, 135-137.
  2. Achéménide.
  3. Virgile, Énéide, III, 619-650.