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fermé pour un peu de temps dans une prison ténébreuse, humide et empestée, à moins d’avoir perdu le sens, ne se gardera-t-il pas, autant que possible, de tout contact avec les murs et le sol ? et devant sortir bientôt, n’attendra-t-il pas en dressant l’oreille l’arrivée de son libérateur ? Si, renonçant à ces précautions, couvert de fange et plongé dans les ténèbres, il craint de sortir de sa prison ; s’il met tous ses soins à peindre et à orner les murs qui l’entourent, essayant en vain de surmonter la nature d’un lieu d’où suinte l’humidité, ne passera-t-il pas avec raison pour un fou et un malheureux ? Eh bien ! vous connaissez et vous aimez votre prison, malheureux que vous êtes ! et, à la veille d’en sortir ou du moins d’en être arrachés, vous vous y fixez, vous appliquant à orner ce que vous auriez dû haïr, comme tu l’as fait dire toi-même, dans ton Afrique, au père du grand Scipion : Nous haïssons des liens et des chaînes qui nous sont connus ; nous craignons ces entraves de la liberté ; nous aimons ce que nous sommes maintenant[1]. À merveille, pourvu que ce que tu fais dire aux autres tu te le dises à toi-même. Mais je ne puis dissimuler un mot de ton discours qui te semblera peut-être très humble et qui me paraît à moi très arrogant.

Pétrarque. Si je me suis exprimé orgueilleusement je le regrette ; mais si l’âme

  1. Scipion parle des âmes admises avec lui dans le ciel. Par les mots de chaînes et d’entraves, il désigne le corps. (L’Afrique, 329-330)