Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me fie, dites-vous, sur mon esprit. » Mais, assurément, la seule marque que j’ai donnée d’un peu d’esprit, c’est de n’avoir point compté sur mon esprit. M’enorgueillirais-je de la lecture des livres, qui m’a procuré, avec un peu de savoir, mille soucis ? Dira-ton que j’ai recherché la gloire de l’éloquence, moi qui, comme vous l’avez dit vous-même, m’indigne surtout de ce qu’elle ne peut répondre à mes conceptions ? À moins que vous n’ayez envie de m’éprouver, vous savez que j’ai toujours eu le sentiment de ma petitesse, et que si, par hasard, j’ai cru être quelque chose, cette pensée a pu me venir quelquefois en considérant l’ignorance d’autrui : car, comme je le dis souvent, nous en sommes réduits à reconnaître, suivant le mot célèbre de Cicéron, que nous valons plutôt par l’imbécillité des autres que par notre mérite. Mais, fussé-je comblé des avantages dont vous me parlez, qu’y aurait-il là de si magnifique pour en tirer vanité ? Je ne suis point assez oublieux de moi-même, ni assez léger, pour me laisser agiter par de tels soucis. À quoi servent, en effet, l’intelligence, la science et l’éloquence, si elles ne sont d’aucun remède aux maladies qui rongent l’âme ? Je me souviens d’avoir, dans une certaine lettre, exposé mes plaintes à ce sujet.

Quant à ce que vous avez dit quasi sérieusement des avantages physiques, cela m’a fait sourire. Moi, avoir fait fond sur ce corps mortel et périssable dont je sens tous les jours les ravages ? Dieu m’en pré-