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n’avoir pas craint suffisamment ; de même, quand j’aurai rassemblé sous tes yeux les maux qui t’accablent et t’entourent de tous côtés, tu rougiras de ne pas t’être affligé et de n’avoir pas craint autant qu’il le fallait, et tu seras moins étonné que ton âme, cernée partout, n’ait pu se faire jour à travers les bataillons ennemis. Tu verras clairement par combien de pensées contraires a été vaincue cette pensée salutaire vers laquelle je m’efforce de t’élever.

Pétrarque. Vous me faites frémir, car, puisque j’ai toujours reconnu la grandeur de mon péril, et que vous dites qu’il est tellement au-dessus de ce que j’imagine, que je n’ai presque rien craint au prix de ce que j’aurais dû craindre, quel espoir me reste-t-il ?

S. Augustin. Le désespoir est le dernier de tous les maux, et il est toujours trop tôt pour s’y abandonner. Je veux donc que tu saches d’abord qu’il ne faut point désespérer.

Pétrarque. Je le savais, mais la peur m’avait ôté la mémoire.

S. Augustin. Maintenant, tourne tes yeux et ton esprit vers moi, et, pour me servir des termes de ton poète favori : Vois quels peuples se liguent, quelles villes, à l’abri de leurs remparts, aiguisent le fer contre toi et pour la perte des tiens[1] ; vois quels pièges le monde te tend, combien de vaines espérances voltigent autour de toi, et combien

  1. Virgile, Énéide, VIII, 385-386.