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larmes ont maintes fois excité les leurs, bien qu’après avoir pleuré, nous retournions les uns et les autres à nos habitudes.

Dans cette situation, qu’est-ce qui me retient donc ? Quel est l’obstacle caché qui fait que, jusqu’à présent, cette pensée n’a enfanté pour moi que peines et terreurs ? Je suis encore le même qu’auparavant, le même que ceux qui n’ont peut-être jamais rien éprouvé de semblable dans leur vie ; mais je suis bien plus malheureux qu’eux, car, quelle que puisse être leur fin, ils jouissent au moins des plaisirs présents, tandis que moi j’ignore quelle sera ma fin et je ne goûte aucun plaisir qui ne soit empoisonné par de telles amertumes.

S. Augustin. Ne t’afflige point, je te prie, quand tu as lieu de te réjouir. Plus le pécheur goûte dans le crime une sensation voluptueuse, plus on doit le juger malheureux et digne de pitié.

Pétrarque. Peut-être parce que celui qu’entraîne un plaisir non interrompu, s’oubliant lui-même, ne retourne jamais vers le sentier de la vertu. Mais celui qui éprouve quelque peine au milieu des séductions des sens et des caresses de la fortune se souvient de sa condition chaque fois que le plaisir aveugle et inconsidéré l’abandonne. Si tous deux devaient avoir une même fin, je ne vois pas pourquoi celui qui se réjouit maintenant, quitte à s’affliger plus tard, ne serait pas jugé plus heureux que celui qui présentement