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racher à tant de maux, pourvu que tu te montres guérissable, si, dis-je, tu es avide de te relever et que tu persévères dans ta résolution, sois sûr que tu n’as point médité en vain.

Pétrarque. Vous m’avez fort effrayé, je l’avoue, en mettant sous mes yeux cet amas de misères. Mais, que Dieu me pardonne, aussi vrai que je me plonge tous les jours dans ces réflexions, et surtout la nuit, quand l’âme, dégagée des soucis de la journée, se replie sur elle-même. Je me mets dans la posture d’un mourant, et je me représente vivement l’heure même de la mort et tout ce qu’elle éveille d’horrible dans l’imagination, au point que je me crois à l’agonie. Je m’imagine parfois voir l’enfer et tous les maux dont vous parlez, et cette vision me cause un tel trouble que je me lève tout tremblant de peur, et que, souvent, au grand effroi des assistants, je m’écrie : « Hélas ! qu’est-ce que je fais ? qu’est-ce que je souffre ? à quelle fin la fortune me réserve-t-elle ? Jésus, soulagez ma misère. Vous qui êtes invincible, délivrez-moi de ces maux[1]. Tendez la main à un malheureux et soutenez-moi à travers les ondes, afin qu’après ma mort je repose au moins dans un asile de paix[2]. » En outre, je me dis à moi-même beaucoup d’autres choses, comme un frénétique, selon que la fougue emporte mon esprit égaré et épouvanté. Je m’épanche aussi avec mes amis, et mes

  1. Virgile, Énéide, VI, 365.
  2. Virgile, Énéide, VI, 370-371.