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Pétrarque. Qu’appelez-vous descendre profondément ? Quoique je croie comprendre, je désire que vous vous expliquiez plus clairement.

S. Augustin. Voici. Il est reconnu de tout le monde, et les plus illustres des philosophes sont de cet avis, que la mort est en première ligne parmi les épouvantails, à tel point que depuis longtemps le nom seul de la mort semble affreux et horrible à entendre. Toutefois, il ne suffira point que l’idée de la mort effleure légèrement notre oreille ou que son souvenir glisse rapidement dans notre esprit. Il faut s’y arrêter longtemps, et, dans une méditation attentive, passer en revue chaque membre des mourants, les extrémités glacées, le buste brûlant et en sueur, les flancs qui battent, la respiration qui se ralentit à l’approche de la mort, les yeux caves et hagards, le regard larmoyant, le front ridé et livide, les joues pendantes, les dents jaunes, le nez resserré et effilé, les lèvres écumantes, la langue paralysée et écailleuse, le palais desséché, la tête appesantie, la poitrine haletante, la voix rauque, les tristes soupirs, l’odeur repoussante de tout le corps et surtout l’horreur du visage décomposé. Tout cela apparaîtra plus aisément et se placera pour ainsi dire à portée de la main, s’il arrive qu’on soit témoin de quelque exemple frappant de la mort : car on retient mieux ce que l’on voit que ce que l’on entend. Aussi n’est-ce point sans une profonde sagesse que dans certains ordres