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malheur que par sa volonté et qu’il n’y a de malheureux que celui qui veut l’être, car je fais en moi-même la triste expérience du contraire.

S. Augustin. Cette jérémiade est ancienne et ne finira jamais. Quoique je t’aie souvent répété en vain la même chose, je ne cesserai pas encore de te l’inculquer. Nul ne peut devenir ni être malheureux sans le vouloir ; mais, comme je te l’ai dit en commençant, il existe dans l’esprit des hommes un penchant pervers et dangereux à se tromper eux-mêmes, qui est tout ce qu’il y a de plus funeste au monde. Car, si vous craignez, avec raison, les tromperies des gens avec qui vous vivez, parce que la confiance qu’on leur accorde supprime le remède de la défiance et que leur voix agréable frappe assidûment vos oreilles, combien devriez-vous plus redouter vos propres tromperies, où l’amour, la confiance et la familiarité prévalent, parce que chacun s’estime plus qu’il ne vaut et s’aime plus qu’il ne faut, et que le trompé et le trompeur ne font qu’un.

Pétrarque. Vous avez souvent tenu ce langage aujourd’hui. Pour moi, je ne me suis jamais trompé moi-même, que je sache, et plût à Dieu que les autres ne m’eussent point trompé !

S. Augustin. Tu te trompes fort maintenant lorsque tu te glorifies de ne t’être jamais trompé toi-même. J’ai assez bonne opinion de ton intelligence pour croire qu’en réfléchissant bien, tu verras par toi-même