Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regards, que sera-ce quand tu les auras élevés vers les choses éternelles ? »

À ces mots, sans être encore rassuré, je lui répondis à peine, d’une voix tremblante, par ces paroles de Virgile : Comment vous nommer, ô vierge ! car votre visage n’est point d’une mortelle et votre voix n’a rien d’humain[1] ? — Je suis, reprit-elle, celle que tu as dépeinte dans notre Afrique[2] avec une élégance recherchée, et à qui, rival d’Amphion le Thébain, tu as, avec un art merveilleux et des mains, à proprement parler, poétiques, érigé un palais plein de clarté et de magnificence à l’extrémité de l’Occident, au plus haut sommet de l’Atlas[3]. Écoute donc sans crainte et ne redoute point de voir en face celle qui, tu l’as prouvé par une allégorie ingénieuse, t’est depuis longtemps intimement connue. »

À peine avait-elle achevé ces mots, qu’en rappelant tous mes souvenirs, il me vint à l’esprit que ce n’était autre que la Vérité elle-même qui parlait. Je me souvenais d’avoir fait la description de son palais sur les hauteurs de l’Atlas, mais j’ignorais de quel pays elle était venue ; toutefois j’étais certain qu’elle ne pouvait venir que du ciel. Je tourne donc mes regards vers elle, avide de la voir ; mais voilà que l’œil de l’homme ne put supporter cette lumière éthérée, et je baissai de nouveau les yeux vers la terre. Elle s’en aperçut et, après un moment de silence, reprenant la parole, elle me fit

  1. Énéide, I, 327-328.
  2. Poème épique de Pétrarque.
  3. Cette description du palais de la Vérité ne se trouve pas dans ce qui nous reste de l’Afrique. Elle faisant sans doute partie d’un des épisodes perdus du poème.