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admirant le cours si rapide des fleuves, pour ne pas te citer les vers d’autrui, aie toujours présent à la pensée celui-ci qui est de toi : Aucun fleuve ne coule avec plus de vitesse que le temps de la vie[1]. Ne sois point abusé par la pluralité des jours, ni par la distinction artificielle des âges ; l’existence tout entière de l’homme, si longue qu’on la suppose, ressemble à un seul jour, et encore pas entier. Aie fréquemment devant les yeux une comparaison d’Aristote, qui, je le sais, te plaît extrêmement, et que tu ne lis et n’entends jamais sans une profonde émotion. Tu la trouveras rapportée par Cicéron, dans ses Tusculanes, en un style plus clair et plus persuasif. En voici les termes, ou à peu près, car je n’ai pas en ce moment le livre sous la main : Aristote dit que sur les bords du fleuve Hypanys, qui, du côté de l’Europe, se jette dans le Pont-Euxin, il naît de petits animaux qui ne vivent qu’un jour. Celui qui meurt sur le tantôt, meurt fort âgé, et celui qui expire au coucher du soleil, meurt décrépit, surtout à l’époque du solstice. Comparez notre âge le plus avancé avec l’éternité, nous le trouverons presque aussi court que celui de ces animalcules. Ainsi parle Cicéron[2]. Cette assertion est si vraie, selon moi, que, de la bouche des philosophes, elle s’est répandue depuis longtemps dans le public. N’entends-tu pas tous les jours, dans la conversation, des

  1. Épîtres, I, 4, 91-92.
  2. Tusculanes, I, 39.