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croître l’ombre des montagnes, dis : « Maintenant la vie s’enfuit, l’ombre de la mort s’étend ; toutefois ce soleil reparaîtra le même demain, mais ce jour est perdu pour moi irréparablement. » Qui énumérera toutes les beautés d’une nuit sereine ? C’est un temps aussi favorable aux gens de bien, que propice aux malfaiteurs. Ainsi donc, non moins inquiet que le commandant de la flotte troyenne[1], car tu ne navigues pas sur une mer plus sûre, lève toi au milieu de la nuit et observe tous les astres qui roulent dans le silence des cieux[2]. En les voyant courir vers l’occident, sache que tu es poussé avec eux et qu’il ne te reste aucun espoir de t’arrêter, si ce n’est en Celui qui est immuable et qui ne connaît pas le déclin. De plus, quand tu rencontres ceux que tu as vus naguère enfants, montant les degrés des âges, songe que tu descends en même temps par un autre versant, et d’autant plus vite que, selon les lois de la nature, tout ce qui est lourd, tend à tomber. En voyant de vieilles constructions, songe d’abord où sont ceux dont la main les a bâties ; en en voyant de neuves, demande-toi où ils seront bientôt. Fais-en de même pour les arbres, dont souvent celui qui les a cultivés et plantés ne cueillera pas les fruits : car ce mot des Géorgiques s’est vérifié bien des fois : L’arbre pousse lentement et ne donnera de l’ombre qu’à nos arrière-neveux[3]. En

  1. Palinure.
  2. Virgile, Énéide, III, 515.
  3. Virgile, Géorgiques, II, 58.