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tive. Voulez-vous que, laissant de côté toutes mes études, je vive sans gloire, ou me proposez-vous un parti intermédiaire ?

S. Augustin. Je ne te conseillerai jamais de vivre sans gloire, mais je te recommanderai toujours de ne point sacrifier la vertu à l’amour de la gloire. Tu sais que la gloire est en quelque sorte l’ombre de la vertu. Par conséquent, de même qu’il est impossible que ton corps ne produise point d’ombre par un soleil ardent, il ne peut se faire que la vertu n’engendre point la gloire sous le rayonnement de Dieu, qui se fait sentir partout. Donc supprimer la vraie gloire, c’est supprimer nécessairement la vertu ; celle-ci disparaissant, la vie de l’homme reste nue, semblable aux animaux muets et n’écoutant que l’instinct, qui est la seule passion de la bête. Voici donc la règle que tu auras à suivre : cultive la vertu, néglige la gloire ; quant à celle-ci, comme on l’a dit de Caton, moins tu la rechercheras, plus tu l’obtiendras. Je ne puis m’empêcher d’invoquer devant toi ton propre témoignage. Tu auras beau fuir la renommée, elle te suivra malgré toi[1]. Ne reconnais-tu pas ce vers ? Il est de toi. On prendrait certainement pour un fou celui qui, au milieu du jour, se fatiguerait à courir çà et là en plein soleil pour voir son ombre et la montrer aux autres ; or celui-là n’est pas plus sensé qui, à travers les agitations de la vie, se trémousse de côté et

  1. L’Afrique, II, 486.