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que Dieu tout-puissant ne me délivre de tant d’assauts, et que, m’arrachant de ses mains à la gueule de l’ennemi, il ne veuille que je sois au moins en sûreté dans cette retraite[1]. »

Maintenant, que le lecteur prononce ! Une passion aussi violente, aussi tyrannique, fut-elle purement idéale ? Soutenir l’affirmative, ce serait méconnaître le cœur humain. Certains esprits, dépourvus de critique, ont cru grandir Pétrarque en lui prêtant un amour dégagé de tout appétit charnel ; d’autres sont allés jusqu’à nier l’existence de Laure et ont prétendu qu’il s’était épris d’une fiction. Il suffit de lire le Canzoniere et surtout Mon Secret, pour voir que l’amant de Laure ne se contenta pas d’une admiration extatique, mais qu’il désira des réalités. Il en sollicita la possession par tous les moyens que la passion suggère ; mais il échoua devant une résistance invincible. Nous avons à cet égard son propre témoignage, et il est d’autant plus digne de foi que les amants n’ont pas coutume de prendre le public pour confident de leurs défaites. « Sans se laisser émouvoir par mes prières, ni vaincre par mes caresses, dit-il, elle garda son honneur de femme, et malgré son âge et le mien, malgré mille circonstances qui auraient dû fléchir un cœur d’airain, elle resta forme et inexpugnable. Oui, cette âme féminine m’avertissait des devoirs de l’homme, et, pour garder la chasteté, elle faisait en sorte, comme dit Sénèque, qu’il ne me manquât ni un exemple ni un reproche[2]. À la fin, quand elle vit que j’avais brisé mes rênes et que je courais à l’abîme,

  1. Épîtres, I, 7.
  2. Des Bienfaits, VII, 8.