Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vin[1]. Car vous n’êtes pas moins ensevelis dans la masse du corps et dans les jouissances temporelles que les Troyens ne le furent, au rapport de Virgile, dans le sommeil et dans le vin. D’un autre côté, le satirique a dit avec esprit : Telle qu’une fleur éphémère, la vie si courte nous échappe rapidement. Pendant que nous buvons, que nous demandons des couronnes, des parfums, des filles, la vieillesse se glisse à notre insu[2].

Et toi, pour en revenir à mon sujet, lorsque la vieillesse se glisse et frappe à la porte, tu essaies de lui interdire l’entrée. Tu prétextes que, par une infraction à l’ordre de la nature, elle est venue avant le temps. Tu es bien aise de rencontrer quelqu’un peu âgé qui affirme t’avoir vu tout enfant, surtout si, selon l’usage de la conversation, il prétend que c’est hier ou avant-hier. Tu ne remarques pas que l’on peut en dire autant au vieillard le plus décrépit. Qui n’était pas enfant hier, ou plutôt qui ne l’est point aujourd’hui ? Nous voyons çà et là, des enfants nonagénaires disputant sur des bagatelles, et s’occupant maintenant encore d’enfantillages[3]. Les jours fuient, le corps décroît, l’âme ne change point. Quoique tout se décompose, elle n’arrive pas à sa maturité, et il est vrai, comme dit le proverbe, qu’une âme use plusieurs corps. L’enfance passe, mais,

  1. Énéide, II, 265.
  2. Juvénal, IX, 126-129.
  3. Allusion aux dialecticiens.