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temps de la vie, qui est si courte, et vous vous étonnez de la venue de la vieillesse, qu’amène le cours très rapide de tous les jours ! Deux motifs donnent lieu à cette absurdité. Le premier, c’est que la vie la plus courte est divisée par les uns en quatre parcelles, par les autres en six, par d’autres en un plus grand nombre. Ainsi, ne pouvant étendre par la quantité une chose aussi minime, vous essayez de l’étendre par le nombre. Mais à quoi sert ce fractionnement ? Imagine autant de sections que tu voudras, en un clin d’œil elles disparaissent presque toutes à la fois. Hier tu naissais, te voilà bel enfant, tout à l’heure jeune homme, bientôt homme fait : vois avec quelle volubilité un poète très judicieux a dépeint le cours fugitif de la vie. C’est donc en vain que vous vous évertuez à étendre ce que la loi de la nature, notre mère à tous, restreint. Le second motif, c’est que vous vieillissez au milieu des jeux et des fausses joies. Aussi, de même que les Troyens, qui passèrent de la sorte leur nuit suprême, ne s’aperçurent point que le fatal cheval qui portait dans ses flancs des soldats armés avait franchi les remparts de Pergame[1], de même vous ne sentez pas que la vieillesse, qui amène avec elle la mort armée et impitoyable, franchit l’enceinte de votre corps mal gardé, si ce n’est quand les ennemis, se glissant le long d’un câble, envahissent la ville ensevelie dans le sommeil et dans le

  1. Énéide, VI, 515-516.