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Croyant que l’absence le calmerait, il chercha une distraction dans les voyages. « Quoique j’aie prétexté différents motifs, dit-il, l’unique but de toutes mes pérégrinations et de mes séjours à la campagne était la liberté. Pour la recouvrer, j’ai erré au loin à travers l’Occident, à travers le Nord et jusqu’aux confins de l’Océan ». Et il ajoute avec amertume : « Vous voyez combien cela m’a servi[1] ». Il ne fit en effet que traîner sa chaîne : il retrouvait partout dans son imagination celle qu’il fuyait. En traversant seul les Ardennes désolées par la guerre, ce n’est point l’ennemi qui le préoccupe, c’est Laure. «  Il me semble l’entendre, dit-il, lorsque j’entends les branches, les vents, les feuilles, les oiseaux gémir, et l’eau fuir en murmurant à travers l’herbe verte. Je vais chantant, ô pensées peu sages ! celle que le ciel ne pourra jamais éloigner de moi, car je l’ai dans les yeux. Il me semble voir avec elle des dames et des demoiselles et ce sont des sapins et des hêtres[2] ».

N’obtenant pas des voyages la guérison qu’il en attendait, Pétrarque eut recours à un autre remède. À l’âge de trente-trois ans, il rompit courageusement toute espèce de relations et se condamna à une solitude absolue. Il vint se confiner dans la vallée sévère de Vaucluse, s’armant, pour combattre sa passion, de l’étude et de la prière. Inutiles efforts ! De même que saint Jérôme, au fond du désert était obsédé par le souvenir des fêtes romaines, Pétrarque, dans sa retraite, fut assailli par l’image de Laure. « Elle me poursuit de nouveau, dit-il, et ré-

  1. Mon Secret, dialogue III.
  2. Sonnets, I, 124.