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lui procurera le même résultat ; mais, si elle n’est ni guérie ni préparée, ce déplacement et ces passages fréquents d’un lieu à un autre ne feront qu’irriter sa douleur. Je ne cesserai d’invoquer le témoignage d’Horace : C’est la raison, dit-il, et la sagesse, qui dissipent les chagrins, et non un lieu qui domine la vaste étendue de la mer[1]. Et c’est la vérité. Tu partiras plein de l’espoir et du désir de revenir, traînant avec toi toutes les entraves de ton âme. En quelque lieu que tu sois, de quelque côté que tu te tournes, tu contempleras le visage, tu entendras la voix de celle que tu auras quittée. Par un triste privilège des amants, absent, tu la verras, et tu l’entendras absente. Et tu penses que l’amour s’éteint par de tels subterfuges ? Crois-moi, il s’enflamme plutôt de part et d’autre. Aussi les maîtres dans l’art d’aimer, entre autres préceptes, recommandent-ils aux amants de faire de temps en temps de courtes absences, de peur qu’ils ne perdent de leur prestige par l’ennui du tête à tête et par l’assiduité. Donc, je te le conseille, je te le recommande, je te l’ordonne, apprends à ton âme à déposer ce qui l’accable, et pars ainsi sans espoir de retour ; tu verras alors ce que peut l’absence pour la guérison de l’âme. Si le sort t’avait conduit dans un lieu malsain et pestilentiel, où tu fusses exposé à des maladies continuelles, ne le fuirais-tu pas pour n’y plus

  1. Épîtres, I, II, 25-26.