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Que te dirai-je donc, sinon ce vers de Virgile, à deux variantes près : Ah ! fuis cette terre chérie ! fuis ce rivage aimé[1] ! Car comment pourras-tu jamais être en sûreté dans ces lieux où il existe tant de traces de tes blessures, où la vue du présent et le souvenir du passé t’obsèdent ? Ainsi que l’indique le même Cicéron, il faudra te guérir par le changement de lieu, comme les malades qui ont peine à se remettre[2].

Pétrarque. Voyez, je vous prie, ce que vous me prescrivez. Que de fois, désireux de guérir et connaissant ce moyen, j’ai essayé de fuir ? Quoique j’aie prétexté différents motifs, l’unique but de toutes mes pérégrinations et de mes séjours à la campagne était la liberté. Pour la recouvrer, j’ai erré au loin à travers l’Occident, à travers le Nord et jusqu’aux confins de l’Océan. Vous voyez à quoi cela m’a servi. Aussi ai-je été souvent frappé de cette comparaison de Virgile : Telle une biche imprudente, atteinte par un pâtre, dans les bois de la Crète, emporte, à l’insu du chasseur, la flèche qui l’a blessée ; elle traverse en fuyant les forêts du mont Dicté, mais le trait mortel reste attaché à ses flancs[3]. Je suis devenu semblable à cette biche : j’ai fui, mais en emportant partout mon mal avec moi.

S. Augustin. Tu as fait toi-même la réponse que tu attends de moi.

Pétrarque. Comment cela ?

  1. Énéide, III, 44.
  2. Tusculanes, IV, 35.
  3. Énéide, IV, 69-73.