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son nom[1] que de celle de sa personne, tu as, par une vanité incroyable, honoré tout ce qui se rapportait à ce nom ? Si tu as tant aimé le laurier impérial ou poétique, c’est parce qu’elle s’appelait de ce nom. Depuis ce moment, il n’est presque pas une de tes pièces de vers qui ne fasse mention du laurier, comme si tu fusses un habitant des bords du Pénée[2] ou un prêtre de la montagne de Cirrha[3]. Enfin, ne pouvant ambitionner le laurier impérial, tu as convoité, avec aussi peu de retenue que tu avais aimé ta maîtresse elle-même, le laurier poétique que te promettait le mérite de tes études. Quoique pour l’atteindre tu fusses porté sur les ailes du génie, tu frissonneras en songeant avec combien de peine tu y es parvenu. Je devine ce que tu vas me répondre, et, au moment où tu ouvres la bouche, je vois quelle est ta pensée. Tu te dis tout bas que tu t’es adonné à ces études quelque temps avant d’être amoureux et que cette gloire poétique a enflammé ton âme dès l’enfance. Je ne le nie pas et je ne l’ignore pas ; mais un usage tombé en désuétude depuis des siècles, une époque contraire à ce genre d’études, les dangers de longs voyages qui t’ont conduit au seuil non seulement de la lice, mais de la mort, et d’autres obstacles non moins violents de la fortune, auraient empêché ou peut-être annulé ta résolution, si le souvenir

  1. Laure.
  2. Fleuve de Thessalie.
  3. Ville de Phocide, voisine de Delphes.