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Pétrarque. Je viens de repasser dans un coup d’œil le nombre et la suite de mes années.

S. Augustin. Qu’y trouves-tu donc ?

Pétrarque. Je vois que la doctrine de la lettre de Pythagore, dont j’ai entendu parler et que j’ai lue, n’est pas vaine. En effet, lorsque, gravissant un sentier tout droit, je fus parvenu, sage et raisonnable, à un carrefour où deux chemins aboutissent, et que l’on m’eut commandé de prendre la droite, je me suis détourné à gauche (dirai-je par imprudence ou par orgueil ?) et je n’ai point profité de ce que j’avais souvent lu dans mon enfance : C’est ici que la route se bifurque. Celle de droite mène au palais de Pluton (c’est par là que nous irons à l’Élysée) ; celle de gauche est consacrée aux supplices des méchants et conduit à l’affreux Tartare[1]. Quoique j’eusse lu cela précédemment, je ne l’ai point compris avant d’en avoir fait l’expérience. Depuis que je me suis engagé dans ce sentier oblique et sordide, je me suis souvent retourné en arrière avec larmes ; mais je n’ai pu reprendre le chemin de droite et, quand je l’ai abandonné, c’est alors, oui, c’est alors que s’est opéré ce désordre dans ma conduite.

S. Augustin. Mais à quelle époque de ta vie cela est-il arrivé ?

Pétrarque. Dans le feu de l’adolescence, et, si vous voulez attendre un peu, je me rappellerai aisément quel âge j’avais alors.

  1. Virgile, Énéide, VI, 510-513.