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S. Augustin. Tu avoueras aussi que cet amour t’a suscité bien des maux.

Pétrarque. Quand vous me mettriez sur le chevalet, je n’avouerai pas cela.

S. Augustin. Tu feras bientôt de plein gré ce double aveu, à moins que tu ne tiennes pas compte de mes raisons et de mes interrogations. Dis-moi, te souviens-tu des années de ton enfance, ou la foule de tes soucis présents a-t-elle effacé tout souvenir de cet âge ?

Pétrarque. Mon enfance et mon adolescence sont devant mes yeux aussi bien que la journée d’hier.

S. Augustin. Te rappelles-tu, à cet âge, comme tu avais la crainte de Dieu, comme tu songeais à la mort, comme tu aimais la religion, comme tu chérissais la vertu ?

Pétrarque. Oui, je me le rappelle, et je vois avec peine qu’à mesure que je croissais en âge, ces vertus ont diminué.

S. Augustin. Pour moi, j’ai toujours craint que la brise printanière ne renversât cette fleur hâtive qui, si elle fût restée entière et non endommagée, aurait produit en son temps un fruit merveilleux.

Pétrarque. Ne vous écartez pas du sujet. Quel rapport cela a-t-il avec la question qui nous occupe ?

S. Augustin. Je vais te le dire. Parcours tout bas en toi-même, puisque ta mémoire est intacte et fraîche, parcours tout le temps de ta vie, et rappelle-toi quand a commencé ce grand changement dans ta conduite.