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amour, elle lui donna de persévérer dans sa résolution. Autrement, si j’avais été attiré par le corps, il y a longtemps que j’aurais pu changer d’avis.

S. Augustin. Te moques-tu de moi ? Si la même âme habitait dans un corps laid et difforme, te plairait-elle autant ?

Pétrarque. Je n’oserais le dire, car l’âme ne peut être vue, et l’image du corps ne m’en promettrait pas une semblable ; mais, si elle apparaissait aux regards, j’aimerais certainement la beauté de l’âme, eût-elle un habitacle défectueux.

S. Augustin. Tu te payes de mots, car si tu ne peux aimer que ce qui apparaît aux regards, tu as donc aimé le corps. Toutefois, je ne nie point que son âme et son caractère n’aient fourni des aliments à ta flamme, puisque (comme je le dirai tout à l’heure) son nom seul a exalté un peu et même beaucoup ton délire : car, comme dans toutes les passions de l’âme, il arrive surtout dans celle-là que la moindre étincelle allume souvent un grand incendie.

Pétrarque. Je vois où vous me poussez. Vous voulez que je dise avec Ovide : J’ai aimé l’âme avec le corps[1].

S. Augustin. Il faut encore que tu confesses ceci : que tu n’as aimé ni l’un ni l’autre raisonnablement et comme il convenait.

Pétrarque. Il faudra que vous me torturiez avant que je le confesse.

  1. Les Amours, I, X, 13.