Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou que j’aime moins celle qui m’a éloigné du commerce du vulgaire, qui, me guidant dans toutes mes voies, a aiguillonné mon esprit engourdi et tiré mon âme de son assoupissement ?

S. Augustin. Malheureux ! tu aurais mieux fait de te taire que de parler, quoique, malgré ton silence, je t’eusse vu intérieurement tel que tu es. Mais tant d’entêtement m’a échauffé la bile.

Pétrarque. Pourquoi cela, je vous prie ?

S. Augustin. Parce que penser faussement est le propre de l’ignorance ; mais soutenir impudemment le faux est le propre tout à la fois de l’ignorance et de l’orgueil.

Pétrarque. Qui vous prouve que je pense et que je parle si faussement ?

S. Augustin. Tout ce que tu dis ; premièrement quand tu affirmes que tu lui dois d’être ce que tu es. Si tu entends par là qu’elle t’a fait ce que tu es, tu mens assurément ; mais si tu penses qu’elle t’a empêché de t’élever plus haut, tu dis vrai. Quel grand homme tu aurais pu devenir si elle ne t’eût retenu par les charmes de sa beauté ! Ce que tu es, tu le dois à la bonté de ta nature ; ce que tu pouvais être, elle te l’a ravi, ou plutôt tu te l’es ravi à toi-même, car elle est innocente. Sa beauté t’a paru si charmante et si douce qu’elle a ravagé par les feux du désir le plus ardent et par une pluie continuelle de larmes toute la moisson qui devait naître de la semence innée de tes vertus. Tu te glorifies faussement d’avoir été préservé par elle de tout