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dre que la frayeur que tu as ressentie une fois peut revenir, et cela d’autant plus facilement que chaque jour est plus près de la mort, et que ce beau corps, épuisé par des maladies et des couches fréquentes, a beaucoup perdu de sa première vigueur[1].

Pétrarque. Moi aussi, je suis devenu plus chargé de soucis et plus avancé en âge. Donc, pendant qu’elle s’achemine vers la mort, j’y cours.

S. Augustin. Quelle folie d’arguer l’ordre de la mort, de l’ordre de la naissance ! De quoi se plaignent les vieillards en deuil, sinon de la mort précoce de leurs jeunes fils ? Que pleurent les nourrices chargées d’années, sinon la perte anticipée de leurs nourrissons qui, privés des douceurs de la vie, ont été arrachés par le destin cruel au sein maternel et plongés dans un trépas prématuré[2] ? Pour toi, le petit nombre d’années dont tu la précèdes te donne l’espérance très vaine que tu mourras avant que ne s’éteigne le foyer de ta passion, et tu t’imagines que cet ordre de la nature est immuable.

Pétrarque. Pas tellement immuable que je ne sache que le contraire peut arriver ; mais je prie sans cesse pour qu’il n’arrive pas, et toujours, quand je songe à sa mort, ce vers d’Ovide me revient à l’esprit : Que ce jour soit tardif et se prolonge au delà de notre âge[3] !

  1. Laure de Noves, épouse de Hugues de Sade, a eu neuf enfants.
  2. Virgile, Énéide, VI, 428-429.
  3. Métamorphoses, XV, 868.