Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attaché ton âme immortelle à un corps caduc, et tu songeras en rougissant à ce que tu soutiens maintenant avec tant d’opiniâtreté.

Pétrarque. Dieu me préserve d’un tel malheur ! Je ne le verrai point.

S. Augustin. Il arrivera fatalement.

Pétrarque. Je le sais, mais les astres ne me sont point assez ennemis pour intervertir par cette mort l’ordre de la nature. Venu au monde le premier, j’en sortirai le premier.

S. Augustin. Tu te souviens sans doute du temps où tu craignais le contraire, et où, inspiré par la tristesse, tu composas un chant funèbre en l’honneur de ton amie, comme si elle fût déjà morte[1].

Pétrarque. Ah ! oui, je m’en souviens, mais j’étais accablé de chagrin, et je tremble encore en y songeant ; je m’indignais d’être amputé en quelque sorte de la plus noble partie de mon âme et de survivre à celle dont la seule présence faisait le charme de ma vie. Voilà ce que déplore cette élégie qui m’a fait répandre alors un torrent de larmes. Je me rappelle le sens, sinon les paroles.

S. Augustin. Je ne te demande pas quelle quantité de larmes ni quelle somme de chagrin l’appréhension de cette mort t’a coûtées ; je veux simplement te faire compren-

  1. Sonnet CXCIII.

    O misera et orribil visione !