Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mortelles. Savez-vous bien que vous parlez d’une femme dont l’âme, détachée des soins de la terre, brûle d’une flamme céleste ; dont l’aspect, si la vérité n’est pas un vain mot, révèle une beauté divine ; dont les mœurs sont le modèle d’une vertu consommée ; dont ni la voix, ni l’éclat du regard, ni la démarche, ne trahissent rien d’humain ? Songez, songez à cela, je vous prie, et vous saurez quels termes vous devez employer.

S. Augustin. Ah ! insensé ! est-ce ainsi que pendant seize ans[1] tu as attisé ta flamme par des flatteries mensongères ? Certes, l’Italie n’a pas été plus longtemps sous le joug d’un ennemi fameux[2], elle a essuyé moins d’attaques à main armée, elle a éprouvé moins d’incendies, que la violence de ta passion ne t’a causé pendant ce temps d’embrasement et d’assauts. Toutefois, il s’est trouvé quelqu’un pour chasser enfin cet ennemi de l’Italie ; mais ton Annibal, qui l’éloignera de dessus ta tête si tu t’opposes à ce qu’il sorte et si, esclave volontaire, tu l’invites à rester avec toi. Tu te complais dans ton mal, hélas ! Mais, quand le jour suprême aura fermé ces yeux dont tu es éperdument épris, quand tu verras ce visage défiguré par la mort et ces membres livides, tu auras honte d’avoir

  1. Le 6 avril 1327, Pétrarque devint amoureux de Laure. C’est donc en 1343, seize ans plus tard, qu’il écrivit Mon Secret. Il avait alors trente-neuf ans.
  2. Annibal.